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12 juin 2014 4 12 /06 /juin /2014 21:41

A PROPOS DES ARMES CHIMIQUES

Au plus fort de la crise syrienne la question des armes chimiques est venue à la une des informations internationales.

L’animateur des émissions de Comaguer a été sollicité par le REPAIRE de Marseille pour faire un exposé sur ces armes.

La vidéo de cette présentation se trouve dans les archives de l’association LA TELE DU PLATEAU.

http://www.livestream.com/lateleduplateau

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8 mai 2014 4 08 /05 /mai /2014 15:40

« L’Europe chrétienne »

Dans l’abondante propagande qui se déverse ces jours-ci dans les médias dominants et qui vise à persuader les citoyens européens d’aller voter pour élire le prochian parlement européen, un des thèmes classiques est celui de l’identification de l’Europe au christianisme.

Cette identification est aussi discutable que sont difficiles à définir les frontières géographiques de l’Europe ce morceau de continent aux limites tellement incertaines qu’il faut le subdiviser encore pour y insérer des nations et des Etats très divers et on va donc parler d’Europes occidentale, centrale, orientale  et puis l’esprit catégorisateur va s’arrêter stupéfait devant l’immensité russe et décider de dire que l’Europe s’arrête finalement à l’Oural, petit relief inespéré qui permet de tracer une ligne de démarcation Nord-Sud et d’éviter de voir que des citoyens russes peuvent simplement en traversannt une rivière se retrouver en Chine ou en Corée.

Cette imprécision constitutive se retrouve dans le domaine de la religion et prend même dans  ce cas figure de contre vérité historique.

Le Christianisme est né au proche-Orient comme l’attesttent les deux testaments. Dans son développement initial ses grandes figures ne sont pas européennes. Dans les découpages territoriaux actuels Paul  de Tarse serait né en Turquie et Augustin en Algérie. Quand il adopte le christianisme l’empire romain est autant européen qu’oriental et quand tombe l’empire romain d’Occident en 476 il ne reste plus qu’un empire chrétien, celui d’Orient  qui continue à se proclamer romain même si nous l’appelons aujourdhui byzabtin mais dont la langue officielle va rester le grec qui résistera longtemps aux assauts de l’Islam conquérant et  durera dix siècles jusqu’à la prise de Constantinople par les turcs en 1453. Chassé des terres byzantines le christianisme d’Orient continuera à vivre en Gèce , dans les Balkans , et en Russie  sous la forme de la religion orthodoxe. Mis à part le très bref épisode de l’empire de Charlemagne le christianisme mettra longtemps à s’installer comme religion dominante en Europe occidentale qui sera en outre le lieu de l’affrontement sanglant entre catholiques et  protestants.

L’Europe chrétienne présentée comme racine historique des actuelles institutions européennes est donc une mystification propagandiste qui remonte à la fin de la seconde guerre mondiale, mystification d’autant plus facile à mettre en œuvre   que l’histoire de l’empire byzantin, empire chrétien,  est très largment méconnue en Europe de l’Ouest.  Quand les Etats-Unis décident de rompre l’alliance anti-nazie conclue avec l’URSS et de mettre sous tutelle la partie occidentale de l’Europe ils ne peuvent éviter de trouver comme élément idéologique fondateur du projet  transatlantique toujours d’actualité que le christianisme puisqu’on le sait dans l’esprit de leurs dirigeants la création des Etats-Unis est une bénédiction divine qui a conféré à ce pays une mission civilisatrice mondiale.

Les péres fondateurs des institutions de l’Europe occidentale sont tous des démocrates chrétiens, issus et représentants des bourgeoisies chrétiennes qui à l’image du Vatican se sont accommodées plus ou moins allègrement des régimes fascistes installés  à partir de 1920  sur cette partie du continent de Vichy à Lisbonne en passant par Madrid, Berlin et Rome. Sur cette période le livre d’Annie Lacroix-Riz : « Le Vatican, l’Europe et le Reich » est une lecture incontournable.

L’instrumentalisation politique du christianisme par les Etats-Unis et en particulier de la division persistante depuis plus de 1500 ans entre catholiques et orthodoxes est également une constante de leur politique européenne. Cette division est à l’origine de l’opposition entre Pologne et Russie, de la division des slaves du Sud entre Serbes orthodoxes et Croates catholiques , de l’opposition entre l’Ouest de l’Ukraine où sont installés les  uniates rattachés au Vatican et l’Est de l’Ukraine où domine l’orthodoxie. Preuve s’il en était encore besoin que les impérialismes savent utiliser toutes les diversités culturelles et religieuses pour faire avancer leurs projets de domination.

 

 

l'empire byzantin à son apogée vers 600

 

l'empire byzantin en 1025

 

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8 mai 2014 4 08 /05 /mai /2014 15:15

Aprés l'horrible pogrom d'ODESSA l'hypocrisie et le mensonge occidentaux sur la réalité du pouvoir en place à Kiev ne sont plus tolérables. Les donneurs de leçons démocratiques sont désormais disqualifiés . Les craintes que nous exprimions fin Mars dans le texte qui sont plus que confirmées.

 

 

Ukraine

 

L’alliance du grand capital oligarchique  et de l’extrême droite politique se met en place

Jusqu’à quand durera-t-elle ?

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Parmi les nombreuses décisions prises par le pouvoir issu du coup d’état du 22 Février à Kiev, certaines ont été moins mises en relief que d’autres. Il en va ainsi de la nomination de deux nouveaux gouverneurs dans deux provinces de l’Est du pays, les plus industrialisées.

Il s’agit de Igor Kolomoisky  et de Serhiy Patura

Selon le classement des milliardaires établi et tenu régulièrement à jour par le magazine US FORBES  où ils figurent dans le « top 400 » mondial, ces deux oligarques sont parmi les hommes les plus riches d’Ukraine. Leur nomination est une réponse claire à la question de savoir qui étaient les soutiens financiers des émeutiers qui ont occupé pendant 3 mois  la place Maidan.

Igor Kolomoisky a été nommé gouverneur de la province du Donets et Serhiy Patura gouverneur de Dniepropetrovsk par décision du « Président » installé en violation de la Constitution ukrainienne. Leur installation  à la tête des deux principales régions industrielles d’Ukraine s’inscrit dans une certaine défense de « l’unité ukrainienne » , le gouvernement de Kiev et ses soutiens internationaux (Etats-Unis, Allemagne, France …) voulant garder le contrôle des régions les plus prospères du pays et faire assurer la surexploitation de la partie la plus avancée de la classe ouvrière ukrainienne par ces deux personnages qui ne sont pas des industriels mais des financiers, purs produits de deux décennies d’aventurisme néo-libéral.

Kolomoisky a cette particularité d’avoir la double nationalité ukrainienne et israélienne. Interrogé sur l’antisémitisme violent des partis d’extrême droite qui occupent plusieurs ministères décisifs à Kiev, à commencer par ceux de la défense et de  l’intérieur, il a minimisé le problème confirmant ainsi indirectement le soutien de Tel Aviv au coup d’état de Kiev. L’extrême perversité de la politique sioniste qui ne craint pas de s’appuyer sur des antisémites notoires pour faire avancer ses intérêts économiques s’affiche ainsi pleinement.

Evoquant cette question dans sa conférence de presse Vladimir Poutine qui a qualifié Kolomoisky d’ « escroc » a rappelé que ce genre d’alliance contre nature avait un précédent dans l’Allemagne nazie. Dans leur conquête du pouvoir les nazis ont utilisé les SA (section d’assaut) véritables milices de rues pour les actions violentes et s’en sont ensuite débarrassés  en 1934 dans la « nuit des longs couteaux » au cours de laquelle les SS ont liquidé physiquement les dirigeants des SA.


 

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8 mai 2014 4 08 /05 /mai /2014 15:02

De Sétif à Bangui

Les habits neufs de l’incorrigible colonialisme français

 

Bien sur , il ne s’agit plus de massacres de masse ni de bombardements aériens mais la « retenue » néo coloniale est moins le produit d’un adoucissement des mœurs coloniales que d’une prise en compte de l’impossibilité de masquer des horreurs en raison du développement des moyens de communication.

Il faut donc mettre en avant des impératifs humanitaires – dont la géométrie est éminemment variable – obtenir des parrainages internationaux (ONU, UNION EUROPEENNE, UNION AFRICAINE…) et susciter des incitations à l’ingérence proférées par les ONG (Organisations Néo Gouvernementales) spécialisées.

Ayant considéré que l’ex OUBANGUI CHARI avait perdu toute importance stratégique après la disparition de l’URSS, la France a négligé la république centrafricaine y fermant sa base militaire permanente jusqu’à ce qu’elle découvre que son pré carré africain était l’objet de nouvelles convoitises.

Le président BOZIZE avait en effet établi des relations de plus en plus étroites avec la Chine qui investissait, prêtait de l’argent, réalisait de grands projets dans ce pays si pauvre.Se sentant menacé il avait également demandé une aide militaire à l’Afrique du Sud, nouveau membre des BRICS et qui a réussi à placer à la tête de l’exécutif de l’Union Africaine une militante de la lutte contre l’apartheid, Mme Dlamini Zuma. Il fallait donc réaffirmer la présence française et renverser BOZIZE. Le personnage n’était pas au-dessus de tout soupçon, mais avec les mêmes critères de respectabilité il aurait aussi fallu se débarrasser d’Idris Deby, d’Ali Bongo, de Sassou N’Guesso, de Faure Gnassingbé, de Blaise Campaoré.… (liste non limitative)

 

François Hollande joua l’indifférence et la neutralité face à BOZIZE qu’il laissa proprement tomber. Lorsque ,en été 2012, AREVA suspendit ses opérations d’extraction d’uranium en RCA (1), il devint évident que la chute de BOZIZE était proche. Le coup d’Etat ne fut donc pas réalisé par l’armée française mais par des bandes armées qui se jouèrent de la minuscule armée centrafricaine et prirent grand soin de liquider en priorité le maximum de soldats sud africains présents à Bangui en protection rapprochée du Président. Le résultat est là : un chaos généralisé, un gouvernement provisoire sorti des fourgons français, des centaines de milliers de réfugiésetdes affrontements interethniques sanglants qui conduisent le secrétaire général de l’ONU lui-même à évoquer un danger de « génocide ». Le carburant financier de ce désordre est la vente clandestine de diamant dont le sous-sol centrafricain est très riche.

 

Ce gâchis néocolonial n’a d’autre but que d’installer à nouveau à Bangui un gouvernement « ami » de la France, de garantir les parts de marché, d’Orange, Total, Bolloré et les autres et de couronner l’opération par un bain de foule triomphal du président français à Bangui pour lui faire oublier quelques heures son impopularité en France. Mais les temps économiques sont durs et les budgets serrés. La France néocoloniale est donc obligée de tendre la main pour poursuivre son opération. L’Allemagne va suivre ce qui permettra de donner un label européen à l’opération et puis l’ONU va suivre aussi ce qui veut dire un accord des Etats-Unis (2) au Conseil de Sécurité qui a décidé la mise en place d’une force de sécurité de plus de 10000 hommes ….à l’automne 2014. D’ici là, les exils et les massacres se poursuivront. Si toutes ces interventions parviennent à mettre un terme à la crise, mais rien n’est assuré (voire la situation au Congo (RDC) où la présence prolongée de casques bleus ne provoque pas un retour au calme) et si finalement les néocolonisateurs ne choisissent pas de« Somaliser » la RCA, ils essaieront alors de se partager le gâteau. Rien ne dit que celui qui a tiré le premier : la France, aura la plus grosse part et que cette part sera à proportion de ses dépenses militaires engagées. Ainsi va l’impérialisme depuis un siècle et demi!

 

La répression coloniale féroce de mai 1945 en Algérie a ouvert la voie à l’insurrection armée de Novembre 1954.

Souhaitons qu’une nouvelle fois un pays africain ne se transforme pas en champ de bataille d’intérêts capitalistes étrangers.

 

Pour l’heure le désordre centrafricain prend place dans une zone d’instabilité accrue par la guerre au Sud soudan frontalier, zone où les stratèges des monopoles capitalistes concurrents réfléchissent à long terme aux futurs axes de transport pour faire parvenir les trésors miniers et pétroliers des pays enclavés, aux ports d’embarquement (le Cameroun étant géographiquement pour la RCA le mieux placé). Dans l’immédiat la rareté de ses infrastructures routières condamne la RCA à se concentrer sur l’activité diamantaire, la moins exigeante en cette matière mais aussi la plus facile à faire échapper au contrôle d’un Etat faible.

 

  1. Pour exploiter l’uranium centrafricain AREVA a pris le contrôle d’un outsider canadien  qui avait obtenu les permis de recherche nécessaires. L’énormité de la transaction réalisée entre les deux tours de l’élection présidentielle française de 2007 fait l’objet de poursuites judiciaires.

 

  1. Les Etats-Unis sont très probablement présents militairement sous le prétexte classique de lutte contre le terrorisme, « l’armée de résistance du seigneur » sévissant dans le Sud est de la RCA. Cultivant la discrétion ils assurent néanmoins avec leur avions stationnés à Djibouti, le transport aérien d’une partie des troupes étrangères

 

 

 

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27 mars 2014 4 27 /03 /mars /2014 10:15

LE 6 FEVRIER 1934 vu par SIMON SABIANI

Un document peu connu sur les évènements du 6 Février 1934

 

Simon Sabiani est un homme politique assez connu. Il revient de la grande guerre blessé et comme beaucoup d’anciens combattants déterminé à s’opposer à la réédition de la grande boucherie. Cette attitude le conduit à rejoindre le Parti communiste français dés sa création au Congrès de Tours. Il s’oppose assez vite au PCF, le quitte et va entamer un parcours de gauche à droite très semblable à celui de Doriot au niveau national. Il sera d’ailleurs un des fondateurs du PPF en 1936, soutiendra activement le régime de Vichy dans toutes ses œuvres, fuira en Allemagne ,sera exfiltré en 1945 par des voies vaticanes vers l’Argentine et finira ses jours à Barcelone en 1956.

De sa rupture avec le PCF il conservera une haine féroce pour les « bolchéviques » comme on dit à l’époque et sa carrière politique à Marseille sera marquée par des rapports de plus en plus étroits avec à la fois la grande bourgeoisie armatoriale locale et la pègre. Mais comme les autre doriotistes il gardera un discours et un vocabulaire très « national et socialiste » et fondera localement un parti le « PARTI SOCIALISTE COMMUNISTE » dont la démarche consiste à arracher un électorat populaire à la fois à la SFIO et au Parti Communiste.

Elu député en 1928 il se trouve en séance au Palais Bourbon le 6 Février 1934. Il doit son siège de député à une curieuse élection qui annonce très clairement son parcours futur. Au premier tour il n’est devancé que par CANAVELLI le candidat de la SFIO. La Droite battue se trouve devant le dilemme de soutenir au second tour le candidat de la SFIO ou le candidat du « PARTI SOCIALISTE COMMUNISTE » (PSC). Son choix sera confirmé par le porte parole de la bourgeoisie commerçante qui financera la campagne de SABIANI et expliquera avoir soutenu « le moins rouge des deux ». En 1934 SABIANI est député non inscrit.

Il est également depuis les élections municipales de 1929 le premier adjoint du maire de Marseille à nouveau au titre d’une combinaison hostile à la SFIO et au PCF. Le maire Simon Flaissières élu en 1929 meurt en cours de mandat et il est remplacé par le docteur Ribot un personnage falot qui laisse la réalité du pouvoir à Sabiani.

Dans une annexe de la thèse de doctorat du 3° cycle non publiée que lui a consacré M. VAUCOURET en 1979 figure le récit par SABIANI de la journée du 6 Février 1934 écrit le onze Février et publié le 16 Février dans « Marseille Libre » le journal de Sabiani financé par le patronat. Le détail des dates est important en ceci que le 9 février a été organisée la première riposte syndicale à l’action violente des Ligues le 6 février et que le 12 aura lieu la convergence des deux manifestations de défense de la République organisées séparément par la SFIO et le PCF, convergence qui marquera la fin de la rupture du Congrès de Tours et sera la source politique du Front populaire et de la réunification de la CGT.

Sabiani, on le verra à sa critique de la grève générale du 9 Février, a bien senti que l’échec des Ligues et le caractère dramatique de la manifestation du 6 allait produire un renversement de la situation politique confirmé par la manifestation du 12 (donc avant la publication du texte) et auquel il est décidé à s’opposer jusqu’à la mort (voir les dernières phrases de l’article). En même temps son témoignage montre qu’il a bien compris que l’émeute avait été soigneusement organisée par des groupes qu’il connait certainement - les Croix de feu, les Camelots du Roi et l’action française sont très actifs dans la région marseillaise et Sabiani est un politicien très actif et averti - mais qui ont leurs racines dans des milieux sociaux de la petite et moyenne bourgeoisie traditionnelle différents de ceux où Sabiani recrute ses partisans et ses hommes de main. Etait-il dans le secret ?

Ni l’article ni la thèse elle-même ne permettent de répondre à la question mais il est certain qu’il avait lui-même et son parti mis en pratique localement l’alliance entre bourgeoisie d’affaires et mouvements de rue portés à la violence. *

La lecture de ce texte donne à réfléchir sur ce qu’est la base de masse du fascisme, sur son vocabulaire trompeur et sur ce qu’elle peut devenir lorsque la grande bourgeoisie décide d’avoir recours à ses services. Cette réflexion n’est pas sans intérêt dans la période actuelle.

 

*Nota bene : les lecteurs qui ne sont pas familiers avec les noms et les personnalités politiques cités dans l’article de Simon Sabiani peuvent utilement se reporter au livre d’Annie Lacroix-Riz Le CHOIX DE LA DEFAITE qui traite de cette période particulière de l’histoire de France et en particulier au chapitre 3. Ils y retrouveront le nom du préfet de police Jean Chiappe que Sabiani ne nomme pas mais qu’il évoque dans le paragraphe « La Grande faute » en en minimisant la responsabilité.

 

DISCOURS DE SIMON SABIANI DU 11 FEVRIER 1934

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Camarades, à mon tour, je dois vous adresser non seulement mes remerciements les plus chaleureux, mais les plus émus pour la façon dont vous avez répondu à cet appel. Il est indiscutable que les membres de mon Parti et mes amis peuvent aujourd’hui se rendre compte de la gravité de l'heure, et qu'ils veulent savoir exactement la ligne de conduite qu'ils doivent suivre.

Nous aurions manqué à un devoir impérieux pour tous, en ne nous réunissant pas ce matin, en ne convoquant pas les amis pour converser avec eux de ce qui se passe. C'est donc une conversation que nous allons tenir, au cours de laquelle nous passerons en revue le passé de notre Pays, son présent et surtout son avenir. Conversation au cours de laquelle nous aurons à déterminer exactement la ligne de conduite que nous allons suivre, afin que nous donnions à la Ville de Marseille, non seulement l'impression d'hommes qui savent ce qu'ils veulent, mais qui peuvent faire figure de dirigeants.

Vous avez répondu nombreux, vous a dit notre camarade Philibert Géra!d ; il ne pouvait pas en être autrement. Je suis fermement convaincu que le souci de notre Pays est partagé par vous tous, au même titre, bien entendu, car enfin il y a un certain calme nécessaire, je dirai même indispensable dans les heures affreuses que nous vivons. Enfin, il faut aussi que nous sachions que si demain il y a combat, il nous faut déterminer l'attitude que nous aurons.

Mes amis et les membres de mon parti ont estimé qu'ils ne pouvaient pas demeurer indifférents en présence de la situation créée à l'heure actuelle. En effet nous nous rendons compte que le pays qui avait la prétention d'être à gauche, est aujourd'hui dirigé par un gouvernement de droite, et nous en sommes à nous demander qui s'est trompé. Est-ce le pays qui s'est trompé en votant pour des hommes de gauche? Sont-ce les hommes de gauche qui ont trompé le pays lorsqu'ils sont arrivés à la Chambre? (applaudissements)

Depuis 1932, 400 députés n'ont pas su faire triompher les idées, mais ils ont dressé une plate-forme de leurs appétits, qui se sont traduits non pas par une action de masse, non pas par une action contre le capitalisme, mais simplement par une action d'égoïsme, par une action d'hypocrisie, par une action de mensonge et des profits constants.

Les hommes de gauche, à quelque parti qu'ils appartiennent, au Parlement, sont responsables de ce qui arrive aujourd'hui. Je n'en veux pas aux hommes de droite qui sont au pouvoir, ils ont agi pendant des années; sachant qu'ils avaient devant eux des hommes qui n'auraient pas résisté: ils avaient devant eux 400 députés non pas les représentants du prolétariat, mais de véritables profiteurs de la bourgeoisie. (vifs applaudissements)

Et c'est ainsi que ces hommes, avec le cynisme que nous connaissons dans les rangs de la droite, l'astuce qu'ils possèdent, et même le courage de certains, parce qu'il y en a qui ont été très courageux, et bien entendu la situation économique aidant, ces hommes, obéissant à une conduite tracée, ont déterminé leur attaque à différentes reprises, ont commencé par user tous les hommes de gauche et les ont usés avec leurs interventions au Parlement.

Mais ces hommes qui ont usé la gauche, aidés par la situation économique faite, ont profité de la première occasion favorable pour déclencher dans le pays une attaque qui devait coûter la mort au Cartel des gauches, et par là même, aux représentants des hommes de gauche, aux représentants du prolétariat pour ainsi dire.

L'AFFAIRE

C'est ainsi que l'affaire Stavisky nous a amené là où vous savez. L'affaire Stavisky, ainsi que beaucoup de scandales, n'est ni plus ni moins qu'un scandale, c'est banal dans tous les pays, et depuis toujours. Ce n'est pas le premier que nous avons; si nous remontons dans notre histoire, nous trouvons l'affaire de Panama, aussi grosse de conséquences. Il y a aussi d'autres affaires grosses de conséquences. On n'a point fait le bruit qu'on a voulu faire aujourd'hui pour l'affaire Stavisky, et remarquez ceci, c'est que je prononce ces paroles, non pas pour excuser ceux qui se sont faits les complices de Stavisky, ils sont condamnables, ils doivent disparaitre, mais je ne puis m'empêcher de voir ce qu'il y a là-dessous de jésuitisme, d'hypocrisie lamentable de la part des représentants de droite qui ont profité de l'affaire Stavisky pour donner un coup mortel à la démocratie. (Applaudissements)

En effet, l'affaire Stavisky n'a pas été la seule. Avant nous en avions eu d'autres sur lesquelles on n'a pas tant fait de bruit, pour ne parler que de l'affaire Oustric, sous M. Tardieu ; elle a été tenue sous silence; dans des conditions invraisemblables; on a mené cette affaire, on n'a pas fait grand bruit et pourtant elle coutait 250 millions à l'épargne nationale.

Tardieu et Flandin étaient alors au pouvoir, personne n'en a parlé, les ministres qui trempaient dans cette affaire n'ont pas été poursuivis, tout est passé sous silence. Le pays était très satisfait. Nous pourrions aussi parler de l'affaire de l'Aéropostale où Flandin a touché de très près au scandale.

LE VEAU D'OR

Ils n'ont pas su affermir la majorité des hommes de gauche que nous avaient déjà donné les élections de 1924 et en 1925 il leur a fallu laisser le pouvoir pour faire place aux hommes de droite.

Pour quelles raisons ? Tout simplement parce que les banquiers et les affairistes de notre pays, les financiers internationaux, leur avaient imposé leur volonté et comme les hommes politiques à quelque parti qu’ils appartiennent pour la plupart en même temps qu’ils sont des dirigeants sont des hommes à vendre, ces financiers ont contraint les hommes politiques du parti radical-socialiste, du parti socialiste unifié et des républicains socialistes, à s'incliner devant le veau d'or.

(Applaudissements)

ATTAQUE DU FRANC

Aujourd'hui, c'est la même situation, ce sont les mêmes conditions de l'attaque, non seulement préparée au point de vue politique, mais surtout au point de vue financier et économique. Ce sont les banquiers qui possèdent le pouvoir aujourd'hui. Ils ont vu arriver Daladier. Ils ont posé leurs conditions formelles qui consistaient à ne pas avoir d'hommes de gauche au pouvoir, à les obliger à s'en aller. Leurs conditions consistaient surtout à dire que s'ils n'avaient pas satisfaction ils allaient faire une autre attaque beaucoup plus formidable, c'était l'attaque du franc qu'on allait déclencher à la veille du 6 février. L'attaque du franc -a été faite quand même dans des conditions qui ont provoqué en 24 heures 8 milliards de retrait d'or de la Banque de France.

Certainement, un pays qui se trouve aux prises avec l'opinion répandue dans le public que la moralité de notre pays n'est plus ce qu’elle doit être, c'est-à-dire rectiligne, droite comme elle a toujours été, mais qu'elle n'est plus consciencieuse, troublée, devait :faciliter l'attaque du franc dans des conditions déterminées, permettant à ceux qui voulaient imposer leur volonté, d'avoir raison.

COURSE AUX PORTEFEUILLES

Et c'est ainsi qu'après avoir tenu deux ans de Parlement, nous avons perdu notre temps, nous n'avons rien fait, nous avons assisté à un spectacle lamentable: des hommes qui n'aspiraient qu'au pouvoir, les uns voulant être ministres, comme dans le parti radical socialiste, qui compte 165 membres, tous désireux d'arriver à être ministres. Et 25 ou 30, dans ce nombre aspirant à être Président du Conseil - Envers et contre tous! Non pas avec l'idée de faire du travail pour notre pays, non pas avec l'idée de défendre la démocratie, mais avec la préméditation de l'homme qui au pouvoir pendant un court passage saura profiter de ce pouvoir, pour en retirer le bénéfice que tout le monde connait, en fin de compte.

L'EQUIVOQUE DU SOUTIEN

Et, à côté de çà nous avons le parti révolutionnaire socialiste unifié qui ignorant les réalités ou faisant semblant de les ignorer, qui tantôt sera contre le gouvernement de gauche et qui tantôt se dira son soutien. Les Socialistes unifiés, les révolutionnaires en "peau de lapin" comme les a appelés Edouard Herriot, n’ont pas défendu le prolétariat, mais simplement défendu l.es intérêts des quelques individus qui commandent dans leur parti. (Applaudissements)

L'ARISTOCRATE S.F.I.O.

C'est ainsi qu'à différentes reprises, Mr. Léon Blum, bourgeois par excellence, qui a non seulement l'allure d'un bourgeois mais qui en a la parole, et qui trahit le bourgeois dans le moindre de ses gestes, le plus fieffé bourgeois aristocrate de notre pays, Blum a manœuvré les ficelles de la majorité dans la coulisse, s’entendant avec Tardieu pour essayer d'attacher le gouvernement qui ne faisait pas son affaire, de le culbuter le moment venu, et le lendemain de prendre le gouvernail avec les radicaux ou d'autres et démontrer ainsi qu'il faisait partie des démocrates sincères de la Chambre.

Mais, en faisant ainsi du Jésuitisme, de l'hypocrisie, cet homme-là attaquait tous les présidents du Conseil qui ne lui donnaient pas les satisfactions qu'il demandait et qui consistaient dans la défense d'un singulier marxisme. Lorsqu'il demandait des satisfactions, il les demandait avec la pensée d'en tirer constamment profit pour lui ou pour les siens. Il les demandait surtout avec cette intime pensée d'obtenir des gouvernements au pouvoir, ce qu'ils pouvaient donner en dehors des batailles que le prolétariat lui-même pouvait engager.

QU'A OBTENU LE PEUPLE?

De tout cela ce n'est pas le peuple, ce n'est pas notre pays qui a profité. Il n'a jamais donné ce que nous pourrions appeler la « Manne gouvernementale » à des gens affamés; à ceux qui aujourd’hui sont obligés de subir le chômage, cette calamité qui ronge notre pays. Nous avons vu partout, dans tous les services du ministère, dans toutes les administrations, des hommes, des socialistes unifiés, qui étaient élevés à des places très importantes, nous avons vu des francs-maçons qui s'emparaient un peu partout du pouvoir, dans les administrations, non pas pour servir le prolétariat mais pour servir leur propre intérêt. (Applaudissements)

C'était la course de vitesse et une course de vitesse pour gagner quelques points dans les batailles où le destin du peuple n'avait rien à voir.

Je vous parlais des batailles parlementaires qu'ils pouvaient livrer pour le compte de leurs amis, mais vous pensez bien qu'à l'heure où nous sommes, il n'est plus possible de continuer

À croire que la politique, à travers le suffrage universel, consiste surtout à partager la "manne céleste", vous pensez bien que le Pactole qui a tant coulé pendant quelques années est aujourd'hui tari. Tout a une fin, et cette fin ne pouvait être déterminée qu'autant qu'une affaire Stavisky donnait aux hommes sincères de la République non seulement la possibilité de la mettre en valeur, mais de montrer qu'ils sont des hommes de bonne foi.

JUSQU'AU SANG

Est-ce qu'il y a exagération de la part de ceux qui attaquent le régime? Je prétends que non. Nous devons considérer que dans la République démocratique et prolétarienne, les prérogatives ne sont pas du côté de la masse. C'est pourquoi l'on a dit qu'il s'est trouvé dans les rangs de gauche, des hommes trop faibles, qu'il s'est trouvé parmi les hommes de gauche des gens en nombre considérable qui n'ont vu que le profit à tirer de la République, des hommes de gauche qui n'ont considéré la République que comme une "vache laitière" qu’on pouvait traire jusqu'à lui tirer son sang.

Pour le compte de qui ? Non pas pour le compte du prolétariat, mais pour celui de quelques individus dans notre pays. Et alors, pas d'étonnement, ils ne sont pas du tout dans la ligne de conduite déterminée. Dans les hommes politiques d'aujourd'hui, nous en arrivons à reconnaître ceux qui nous ont amenés à l'état actuel, dont nous ne sortirons qu'autant que nous retrouverons notre énergie clairvoyante, que nous ferons avec sérénité des réflexions pour que nous puissions demain reprendre le mouvement, combattre nos adversaires, et en même temps les individus qui nous ont attaqués.

Dans quelles conditions ? La classe ouvrière est en désarroi; elle a supporté d'ignorer totalement ce qui se passait dans les rangs adverses, de se mettre un bandeau devant les yeux et de ne pas constater la politique lamentable faite par des hommes de gauche, politique qui nous a amenés au résultat où nous sommes.

LE CHANTAGE BLUM

Et la chambre de 1932, qui fait 6 ministères en l'espace de deux ans, que dis-je dans l'espace de 18 mois exactement, qu'a-t-elle fait ? Les uns et les autres étaient aplatis devant le grand prêtre Blum, qui venait à la tribune indiquer qu'on ferait on ne ferait pas le soutien du gouvernement, instaurant ainsi un intolérable chantage. Pour ne pas subir cette ignoble pression, pour rester digne de ceux qui me mandataient, j'ai voté Contre le gouvernement quand Blum le soutenait et pour lui quand Blum l’abandonnait ! (bravos prolongés) .

En effet, chers amis, je sentais qu’il n'y avait pas possibilité de déterminer un programme de politique franche et loyale, je sentais une politique de profits, et voyais des malheureux nommés ministres, appelés les uns après les autres à la présidence du Conseil.

HERRIOT-CHAUTEMPS-SARRAUT.

Nous les avons vus à l’heure, les uns pleins de bonne volonté, honnêtes, loyaux. Je vous citerai Herriot, sur lequel je vous dirai mon mot, parce qu'il faut dire ce que l'on pense en de semblables circonstances. Herriot, grand honnête homme, propre et trop bon malheureusement, tout sentiment, s'imaginant sans doute que tout le monde est fait à son image. Ce qui n'est pas exact, connaissant comme nous les connaissons les mauvais esprits dont souffre l'humanité.

Herriot est un cerveau étonnant, mais fait surtout pour le silence du cabinet de travail, et non pour la lutte. Il ne voyait que les avantages. Il aurait de jeter un coup d'œil sur les membres de son parti incapables d'agir pour réaliser une stabilité mais prompts à discerner leurs profits. Amis, Herriot on l'a remplacé par Sarraut, Chautemps, Daladier.

ON CONNAISSAIT STAVISKY

Est-ce que l'on peut prétendre honnêtement, que le scandale Stavisky qui dure tout de même depuis 1926 n'a éclaté que depuis à peine un mois? Est-ce que demain nous n'aurons pas la preuve qu'il était depuis longtemps connu de certains fonctionnaires, et à plus forte raison des ministres qui étaient en place? Il n'est pas possible qu'un ministre de l'Intérieur comme Chautemps qui a vécu deux ans, sans désemparer au Ministère de la place Beauvau, il n'est pas possible que cet homme n'ait pas connu de très près les agissements de Stavisky. Et alors ? Si Chautemps a connu ça, pourquoi n'a-t-il pas pris des mesures, les mesures qui s'imposaient vis à vis de cet homme afin de le mettre hors d'état de nuire, en temps opportun t

En attendant c'est un crime énorme qui a été commis au détriment des épargnants de notre pays. Si Dalimier en savait autant que Chautemps, pourquoi n'a-t-il rien fait au ministère et pris les mesures nécessaires ? Et si M. Durand, ministre du commerce envoyait ses propres employés pour conseiller à Dalimier de signer cette fameuse lettre qui a permis tout cela, pourquoi n'a-t-on rien dit à la chambre, pourquoi n'a-t-on rien fait?

Tout cela vous démontre leur culpabilité, parce qu'ils avaient à côté d'eux, des hommes qui profitaient de l'escroc Stavisky.

REPUBLIQUE DES CAMARADES

Il y en a tant à placer des camarades et des amis ! Et ce qui s'est déclaré au Ministère de l'Air, au Ministère des Travaux Publics, au Ministère de l'Intérieur?

C'est tellement vrai que l'on a vu le spectacle d'une employée, rédactrice du Ministère de l'Air qui avec un autre employé, trouvait le moyen de sortir des dossiers qui pesaient plus de 200 kilos, alors qu'il fallait des charrettes pour les traîner, sortir ces dossiers tout tranquillement et sans être vus. Et cela intéressait la Défense Nationale. Et personne n'avait rien vu, n’avait rien à dire la dessus. Comment pouvait-on s'emparer de pareils documents sans être inquiétés? Alors qu'on pouvait s'emparer de tous les éléments convaincants. Puisque Blum le grand prêtre était au pouvoir, il pouvait dénoncer aussi le scandale Stavisky et l'arrêter net.

LE "POUVOIR" A BLUM

Blum disait il y a 8 jours : "Je suis prêt à prendre le pouvoir". Or, je suis à me demander s'il en est capable, s'il est capable de 'déterminer une action pour amener le prolétariat au pouvoir. Personne ne peut y croire. Les hommes ne se tromperont pas deux fois ; nous saurons bien distinguer ceux qui ne reculeront pas devant les responsabilités et les actes à accomplir. (Applaudissements)

MESURES POUR RIEN

L'affaire Stavisky a mis on peut le dire le feu aux poudres. Elle permettra de cacher, de passer sous silence tous les gros scandales qui dépassent l'affaire Stavisky de 1000 coudées. En voulez-vous une preuve? On désirait une commission, elle a été proposée par un homme de droite, Ybarnegaray, j'ai voté contre, pourquoi ? Parce que j'estimais que le gouvernement devait, dans les 15 jours, rapporter à la chambre et au pays, la liste des coupables, prononcer immédiatement les sanctions qui s'imposaient, on ne l'a pas fait.

Chautemps était dans l'impossibilité de prononcer la moindre sanction; il s'en est remis à un inspecteur de la santé qu'on appelle Bonny et qu'on offrait ensuite en holocauste, suivi de deux commissaires de police déplacés. Pourtant l'affaire Stavisky était connue du Parquet et de la section financière du Parquet, comme elle l'était des dirigeants de la sureté générale.

Il y a des hommes qu'il fallait frapper séance tenante. On atermoyait parce que le beau-frère de Chautemps était à la tête du Parquet, et qu'il était le véritable responsable. (Applaudissements)

Si bien, qu'au bout de 15 jours, nous constatons que nous ne savons absolument rien. Chautemps se présente les mains vides, Sans crânerie d'ailleurs (car il crâne volontiers dans les affaires qui l'intéressent, à la tribune, par exemple contre moi, lorsqu'il s'agit d'une affaire intéressant la Ville de Marseille). (Applaudissements)

Mais il ne crâne plus, lorsque directement on lui envoie une flèche qui l'oblige à mettre le genou par terre

EFFONDREMENT DES MINISTERES

Et, lamentablement, les ministères s'effondrent, donnant le spectacle qu'au lieu d'avoir des hommes qui sont de véritables démocrates, nous avons eu des profiteurs de la démocratie au pouvoir. Chautemps s'en va. Grand désarroi dans le pays, il <faut le remplacer. Mais par qui? On ne sait pas. Malgré sa bonne volonté, Herriot, il faut bien le dire, Herriot à lui seul est, incapable de tirer notre pays de là. Parce qu'il est trop bon, il a des faiblesses.

Herriot n'est pas un homme d'attaque, ce n'est pas un homme de combat. C'est un intellectuel travaillant en silence dans son cabinet. Incontestablement, il ne faisait pas l'affaire.

Après Herriot on faisait appel à un homme qui avait donné depuis de longues années déjà la preuve de son honnêteté, la preuve de son attachement indéfectible aux idées de gauche, la preuve, en même temps, qu'il était prêt assumer les responsabilités du pouvoir. Et l'on avait la conviction profonde que la République aurait été sauvée, parce qu'elle aurait été défendue par lui. Nous lui avons fait confiance, et lorsque le 6, il s'est présenté à la chambre, comme je vous l'ai déjà indiqué, il y a eu des fautes commises par lui, fautes très graves, qu'un homme de pouvoir ne doit pas commettre, et dont il aurait pu réparer les effets s'il les avait perçus.- Malheureusement, ils ne peuvent pas s'en tirer, les hommes qui ne sentent même pas les fautes qu'ils ont commises.

LA GRANDE FAUTE

Daladier, lui aussi a frappé trop tard, c'est certain, ou il n'a pas assez frappé, c'est encore certain. Daladier arrive au pouvoir et forme son ministère. Lorsqu'il sent que les élus du Parti socialiste unifié ne veulent pas le suivre, que tantôt ils se rangeaient à ses côtés, que tantôt ils le combattaient, il mesure que le pouvoir sera difficile, car il lui faudra expier la grande faute d'avoir dit à Blum: "Je n'ai ni capitaux, ni capitalistes à défendre".

Daladier ne voulait ni de Marin, ni du groupe Flandin, ni de la politique d'autres chefs de groupes. Il s'adresse à des individualités parce qu'il veut montrer au pays qu’il y a intérêt à créer un ministère qui sera en somme un ministère de concorde, et je suis convaincu que c'était là son sentiment intime. Il y a peu de jours qu'il est au pouvoir. Il forme un ministère de concentration avec des membres du centre et de la droite. Puis, il appelle immédiatement quelqu'un, un homme qualifié d'ailleurs, il faut bien le dire, et qui administra une ville pendant 7 ans (applaudissements). Et là, il commet une faute, une faute très grave contre celui qui était le Préfet de police de Paris.

Il lui affirme des sentiments très affectueux, il échange avec lui des propos confiants et va jusqu'à lui dire: "Nous marchons la main dans la main, est-ce que je peux compter sur vous ? Vous pouvez compter sur moi".

Oui, il fallait frapper cet homme le premier jour de l'arrivée, ou il ne fallait plus le toucher. On ne fait pas impunément cette comédie devant le pays tout entier.

Lorsque deux jours après, M. Daladier, sans prévenir, envoie en pleine nuit un Préfet de police pour le remplacer immédiatement, eh bien qu'a du dire celui qu’on remplaçait?

On ne remplace pas ainsi quelqu'un séance tenante. Et cela a porté un coup mortel à celui qui a commis la faute. (Applaudissements)

Le Préfet remplacé était-il coupable? Sans doute, cette culpabilité n’est pas bien grande ou inexistante, puisqu'on propose à l'homme qui est à ce moment Préfet de police, de partir pour la plus belle vice-royauté qui existe, on lui propose le Maroc, ce n'est pas peu dire ! Ou il ne vaut rien ou il vaut quelque chose ! Pourquoi le remplacer? Parce qu'il n'a pas vos idées. Mais on n'est pas obligé d'avoir à la tête des services des hommes qui partagent les idées du Pourvoir.

A certains moments, comptable de la sécurité publique, j'ai le droit d'exiger que ceux qui sont à la tête des services, qui ont des responsabilités, parce qu'ils ne pensent pas comme moi, soient obligés de s'en aller!

Mais alors il fallait le dire aussi. Il fallait dire à Monsieur le Préfet de police, du moment qu'il ne partageait pas les opinions du président du Conseil des Ministres, très gentiment "Je n'ai pas confiance en vous." Et c'était le droit le plus absolu du président du Conseil.

Mais le président du Conseil n'avait pas le droit de commettre cette erreur formidable de lui dire qu'il avait confiance et de le frapper 48 heures après.

Le pays ne comprend pas cette volteface. Le pays n'est pas habitué tout de même à ces atermoiements, qui consistent à faire des dosages pour satisfaire tout le monde, et à la fin du compte ne donner satisfaction à personne.

Vous devez bien penser que l'affaire Stavisky avait fait assez de bruit dans Paris et qu’elle avait ému profondément l'opinion de notre pays. Oh en avait assez, il fallait à la tribune donner la raison de tels actes. Rien, absolument rien de tout çà. Pas de sanctions.

Comme sanction, on peut trouver ridicule qu'on trompe un homme après lui avoir dit qu’on avait confiance en lui, qu'on le remplace et qu'après cela on lui propose la résidence dorée au Maroc.

C'est certainement un acte qui n'a pas été réfléchi de la part de Daladier. Il lui fallait en donner l’explication.

. .. ET LES AUTRES

A côté de cela il fallait immédiatement déplacer Thomé pour donner au pays l'impression qu’on prononçait des sanctions. Thomé était directeur de la sureté. On lui octroie un poste qu'il n'a jamais occupé, qu'il ne connaît pas. Mais, il y en a qui ont la science infuse ! Et c'est pour cela qu’on voit Thomé à la Comédie Française ! (Rires et applaudissements)

C'est un véritable Vaudeville. Et pendant ce temps, au directeur de la Comédie Française, qui est là depuis des années, qui ne fait pas de politique, qui ne commet aucune faute, qui est l'ami des artistes et du public, à cet homme-là, sans rime ni raison, on dit: "Allez-vous en, nous vous remplaçons par Thom."

L’opinion, déjà inquiétée par toutes ces affaires, se rend compte qu'on ne sait plus sur quel pied danser. Daladier se présente à la chambre donc, le lendemain, et dans quelles Conditions ? Il se présente avec une besace pleine d'erreurs, entouré, il faut bien le dire, de quelques jeunes ministres qui auraient pu être l'espoir de notre pays. Je reconnais volontiers que parmi eux il y a quelques hommes, 5 ou 6 qui ont des qualités que nous ne pouvons pas nier. Mais ils sont entourés aussi de quelques vieux qui, aujourd'hui, sont très heureux de vivre dans le calme, des braves gens qui, après une longue vie de bataille, sentent qu'ils sont sur le point de se retirer. Par conséquent, ce n'est pas parmi eux qu'on va trouver le fluide nécessaire, l'énergie indispensable pour communiquer le calme à la foule, pour se rendre ma1tre de la foule.

"DONNANT, DONNANT"

Daladier en arrive au processus lamentable que vous connaissez. Blum huit jours auparavant, l'avait attaqué très gravement et pour quelles raisons ?

Daladier est l'ennemi de Blum, personne ne l'ignore, c'est son adversaire de tous les instants. Mais Blum, ce jour-là, éprouve le besoin de l'appuyer et prend ses responsabilités après l'avoir attaqué 6 jours avant.

Savez-vous pourquoi? Parce que Blum n'avait promis le soutien qu'autant que Daladier lui apporterait la tête du Préfet de police. Voilà pourquoi Mr. Blum soutenait le ministère de Mr. Daladier.

Il ne s'agissait pas pour Blum de savoir si Daladier s'occuperait de la semaine des 40 heures ou du contrôle des banques, ni s'il mettrait un terme à la crise économique, ni s'il apporterait une amélioration à la lamentable crise du chômage, non, il fallait à tout prix exiger la tête du Préfet de police de Paris. C'est à de telles conditions que le "dur" des "durs" avait voté pour le ministère Daladier. (vifs applaudissements)

Bien entendu, Daladier, comme d' habitude - même s’il y en a parmi mes amis, je suis obligé de le dire - Daladier, a été tout simplement le jouet mis entre les mains de la franc-maçonnerie de notre pays. Vous l'ignorez peut-être, mais à l'heure actuelle, elle essaie encore de jouer un rôle, et comme conséquence du rôle joué, nous amène aux pires catastrophes.

Il y a déjà longtemps que la franc-maçonnerie règne, au détriment des intérêts de notre pays tout entier. (vifs applaudissements)

REMOUS

Daladier a donc cédé immédiatement. Ebullition devant une faute aussi capitale, des 4 millions d'hommes, des 4 millions d'habitants dis-je, sinon d'hommes que compte Paris, 4 millions parmi lesquels il y a des gens qui voient clair, il y a des gens qui en ont assez, il y a des gens qui ont décidé de manifester.

Les uns veulent manifester paisiblement, ce sont les Associations des anciens combattants et les Croix de feu, les autres comme les jeunes gens des Jeunesses patriotes, veulent manifester en chantant, et ils sont tout de même nombreux à Paris.

D'autres comme les Communistes veulent manifester à travers les rues de Paris en braillant comme ils font d'habitude. Et, enfin, ceux qui sont ou plutôt qui ont été pendant cette journée du 6 février, le plus grave danger pour nous autres, les factieux du moment, les camelots du Roy qui eux voulaient manifester en frappant, en prenant le dessus, si l'occasion s'était présentée.

A l'extérieur des grilles du Palais Bourbon, il y a des centaines, des milliers d'hommes qui se réunissent. A l'intérieur le gouvernement est à son banc et le président nous lit une déclaration qui ne disait pas grand-chose, où l'on ne trouvait rien, où l'on ne trouvait pas l'énergie qui était indispensable, où l'on ne sentait pas. L’autorité qui aurait da se montrer à ce moment-là.

OU EST LE PRESIDENT ?

Gravement il monte à la tribune, on le reçoit avec des sarcasmes. Pourquoi? Et au bout de trois minutes, il arrive ce qui n'a jamais vécu dans l'histoire de notre pays: le président de la chambre quitte son fauteuil et s'en va, laissant le président du Conseil c'est-à-dire le véritable patron de l'heure, seul à la tribune sans présidence.

Cela ne s'était jamais vu ! C'était la première fois que cette manœuvre était employée, consommée pendant 5 bonnes minutes. Le président du Conseil était à la tribune pour lire la déclaration ministérielle quand tout à coup, se retournant, il ne voit plus le président de la chambre, le président de la chambre s'en était allé il n’y avait plus personne pour diriger les débats.

Nous avons essayé de trouver dans l'histoire de notre pays, un fait semblable. Nous avons appris que sous le ministère Waldeck-Rousseau au moment où une discussion fébrile avait Iieu concernant les libertés de cette époque, le président du Conseil, avait la parole et à un moment donné le président de la chambre faisait semblant de se couvrir, de vouloir placer son chapeau, son "gibus". Il en fut empêché par les députés, séance tenante.

SOUS LES BAIONNETTES

Pourquoi Bouisson a-t-il eu cette attitude? Parce qu'il y avait trop de trouble, trop de bruit à la chambre. Mais si vraiment il avait eu peur, il avait des hommes pour le garder- et comment! Il y avait là des baïonnettes, des fusils.

Mais vous sentez bien que lorsqu'un pouvoir démocratique en arrive à discuter les intérêts du pays, sous la protection des baïonnettes, des canons, des mitrailleuses, la démocratie qui est au pouvoir n'est plus une démocratie qui gouverne c'est tout simplement une démocratie qui s'en va. (vifs applaudissements)

Il n'est pas possible de prétendre qu'un Parlement démocratique légifère dans un palais autour duquel il a force armée.

Ce n'est plus un pouvoir démocratique, c'est tout simplement un pouvoir de factieux, qui tente de s'imposer à l'opinion publique. Par conséquent, il ne peut plus se maintenir au pouvoir. Enfin Bouisson est rappelé, il est obligé de reprendre sa place. .

MON ATTITUDE

La discussion continue. Attaque sur attaque. Lecture de la déclaration ministérielle. Pendant la lecture impossible de comprendre un seul mot. Tout le conseil se trouve aux prises avec une grande partie de la chambre. Les attaques tombent sans arrêt de toutes parts, sur Daladier, aussi bien de la droite que de la gauche. Les éléments de droite avaient arrêté par avance les desseins qui viendront à la connaissance du pays. Daladier assis à son fauteuil, à sa place de président du conseil est pris à partie par les députés, soulevé de sa place par des hommes de droite.

Tout cela ne pouvait que déclencher une bagarre au sein de la chambre. Nous fûmes obligés de donner des coups de poings, des coups de pieds pour dégager le banc des ministres. Nous ne pouvions pas faire autrement; à ce moment-là, il y eut une offensive de la droite, et, même à cause des fautes commises, si je n'en avais pas envie, est-ce que je pouvais voter contre Daladier ? Non, je représente les électeurs, je représente un parti de Marseille qui ne se compose pas de banquiers ni d'affairistes. (Applaudissements)

Je me devais autant que possible, non pas de pardonner les fautes commises, mais de faire acte d’homme imbu d'idées, de faire acte d’homme qui ne veut pas faillir à son devoir. Et quand je sentis autour de nous tout le brouhaha, toutes ces discussions, je compris qu'il était impossible de placer un mot.

L'EMEUTE

On apportait au président à chaque instant, tin petit billet sur lequel il y avait : un mort et puis deux morts, trois morts et quatre morts, cinq morts. Vous mesurez la situation épouvantable d'un homme aux prises avec de pareilles difficultés intérieures, et aussi avec les difficultés à l'extérieur.

En même temps, il y a la foule qui gronde dans la rue, la foule qui ne gronde pas pour rire, cette fois, mais qui gronde pour œ bon. Elle gronde avec une raison. Celle qui consiste à démontrer incontestablement le danger que court notre pays.

Que veut cette foule? Elle veut un comité de Salut Public, un roi, un empereur, je ne sais pas, elle ne sait pas ce qu'elle veut. Ce qu'elle sait, pourtant, c'est qu'elle veut se faire entendre de tous les parlementaires, qu'ils soient des gens de droite ou des gens de gauche, nous sommes tous dans le même sac ; la foule crie: "A bas les voleurs! A bas les députés." (vifs applaudissements)

C'est vers 6 heures que nous constatons que les cris ne sont plus si loin, nous entendons monter vers le ciel des voix en quantité innombrable. Ce ne sont plus des milliers de communistes qui sont là, quelques milliers de camelots du Roy, ce ne sont pas les Jeunesses Patriotiques seulement, même pas les combattants, même pas les Croix de Feu. C'est toute la population de Paris, hommes et femmes venus à la Place de la Concorde par dizaines de milliers, et qui crient, qui crient contre les députés.

Est-ce à dire qu'on en veut au régime? Je ne le crois pas. Ces hommes sont venus pour démontrer, tout simplement que des fautes graves avaient été commises, qu'ils en avaient assez, qu'il fallait mettre un terme à tout cela, et que les chambres ne prenaient aucune position, aucune sanction, ils venaient affirmer aux députés tout leur mécontentement. Ce n'était pas seulement des combattants, ni des camelots du Roy c'était le peuple qui voulait simplement qu’on lui rendit des comptes !

LA LEÇON DU SANG

La journée du 6 février fut un drame, le sang a coulé, et si nous ne sommes pas capables de tirer un enseignement d'une pareille leçon, d'une aussi rude leçon, nous sommes voués certainement aux pires calamités, nous sommes faits pour nous incliner, nous n'aurons plus le droit de dire un mot. Il est nécessaire qu’UN tél enseignement nous profite. D'un c8té, je le répète, les combattants en nombre, 20 ou 25 mille, dirigés par de véritables combattants, d'un autre c8té, des colonnes de Croix de Feu, tous des camarades éclopés qui avaient donné leur sang pour le pays qui s'étaient battus de 1914 à 1918.

Et quelles que soient les idées que nous puissions avoir du point de vue international, il n'en demeure pas moins tout de même que nous devons respecter tous ceux qui ont donné leur chair et leur sang. (vifs applaudissements)

Ces hommes étaient dirigés intelligemment par un homme qui est encore jeune relativement, le colonel de la Roque, plein d'énergie, plein de savoir, plein d'audace et de courage, il nous faut bien le dire. Ils voulaient certainement manifester avec calme. La preuve en est que les combattants et les Croix de Feu avaient donné l'ordre formel de partir en colonnes par cinquante hommes, les mains vides et sans armes dans les poches. A tel point même que des blessés de la jambe, qui pouvaient à peine marcher, privés de leurs cannes, étaient obligés de s'arrêter de temps en temps. Donc aucune mauvaise intention de leur part.

LES VERITABLES EMEUTIERS

Mais, s'il en existait parmi ceux qui ne sentaient pas toutes les raisons de la manifestation, il est certain qu'il existait dans chaque groupe trois ou quatre hommes qui les dirigeaient avec une arrière-pensée, à l'insu de ceux qui les suivaient, très paisiblement, en nombre considérable, et venant de tous côtés.

Pour assurer l'ordre, il y avait la Garde Républicaine, les gardes mobiles, de gros effectifs de police, et même tout un attirail qu’on n'avait jamais vu, les pompiers avec la lance à la main. Pour pénétrer au Palais Bourbon, c'était difficile.

Le Palais Bourbon était cerné par la foule qui criait. Pendant que les Croix de Feu avançaient du côté du Pont Alexandre III, d'autres colonnes prenaient le Palais Bourbon par le revers, par le pont d'Austerlitz. La foule se massait devant les grilles du Palais, d'autres essayaient d'avancer par la rue de Bourgogne. Deux colonnes s'en allaient doucement; on avait ouvert les ailes, on les laissait passer, parce qu'on se doit de les laisser passer, on se doit de laisser passer des hommes qui ont la poitrine constellée de décorations gagnées dans le sang. Ce n'était pas de ces décorations comme certaine Légion d'Honneur qu'on distribue pour 50 ou 100 000 francs qu'on donne à tout venant dans notre pays. Ils avaient les seules récompenses qui démontraient que ces hommes avaient retenu l'attention de notre pays à une époque affreuse pour lui.

On ne pouvait pas moins faire, à tous les hommes, on ne pouvait pas moins faire que d'avoir du respect pour eux. Et cette marche vers le Palais Bourbon s'est faite dans de telles conditions que les gardes mobiles eux-mêmes étaient obligés de saluer au passage. Ils se sont approchés, mais là, autre face de l'attaque.

LES MUNICIPES PRETENTIEUX

C'est à ce moment qu'une délégation du Conseil Municipal de Paris, composée de tous les réactionnaires, arrive à la chambre en voiture, entre au Parlement.

Le président est aux prises avec les attaques intérieures. Ces hommes qui viennent d'arriver à la chambre exigent à tout prix que le président les reçoive, non pas dans un cabinet, mais à la chambre.

Vous sentez bien que l'attaque se déterminait. Si Daladier avait quitté sa place pour se porter au-devant du Conseil Municipal, que serait-il arrivé?

Le Conseil Municipal entrant à la chambre, les Croix de Feu qui suivaient, étant à peine à 100 ou 150 mètres, y pénétraient aussi, et pénétrant à la chambre, vous imaginez ce qui allait arriver.

On nous aurait pris les uns et les autres par les oreilles, et avec un coup de pied au derrière, on nous aurait jetés dans la rue. (Applaudissements)

Mais, d'ailleurs c'était tout naturel, et je dirai même ceci, qui ne dépasse pas ma pensée, je dirai même que cela s'imposait. Il fallait savoir où il fallait en venir, où on allait en faisant çà. Et que les députés méritaient une "conduite de Grenoble" nous sommes tous d'accord là-dessus.

TRIUMVIRAT FASCISTE

Mais une fois l'opération terminée, quelles étaient les vues ? Les vues proches de tous ceux qui dirigeaient le mouvement ? Ils étaient en petit nombre qui avaient le secret, ils le gardaient. Que voulaient-ils faire ? Qui voulaient-ils mettre à la place du gouvernement, Daladier? Ils voulaient le remplacer au pouvoir par qui ? Autant de questions que nous sommes obligés de nous poser. Nous sommes convaincus aujourd'hui qu'à ce moment-là, s'ils avaient réussi, nous aurions aujourd'hui un triumvirat de fascistes notoires à la tête de notre pays. (Applaudissements)

Heureusement Daladier tient encore tête et reprend la discussion.

BILLETS DE MORT

Pendant ce temps la foule grondait. On annonçait des morts, des dizaines de morts, des centaines de blessés, les petits billets se suivaient, on entendait des coups de feu. On entendait crier.

LA FAIBLESSE

Et un homme qui se trouve aux prises avec tant de difficultés, lui est-il permis d'avoir une faiblesse ? Je le crois.

Je crois que, quelque soit le tempérament qu'on puisse avoir, lorsqu'on se trouve en présence d'une pareille situation, aussi difficile qui peut devenir mortelle pour le régime républicain, je crois que l'homme qui est au pouvoir, si véritablement il n'est pas trempé d'acier, cet homme-là doit avoir un moment de faiblesse.

Il l'a eu, non pas à l'instant même, lorsque la foule grondait, il a éprouvé le besoin de terminer les débats en vitesse, en disant : "Plus de discussions je m'en vais, nous reprendrons la séance jeudi matin." On donnait ainsi le spectacle que c'en était fini de la constitution et certainement du régime républicain, car un homme au pouvoir qui n'accepte pas de discuter avec les orateurs, montre que sa situation devient intenable.

C'est à ce moment d'ailleurs, alors qu'on avait vécu de 3 heures jusqu'à 6 heures sans désemparer à la chambre, que les coups mortels étaient échangés. On se rendait compte que toutes les attaques n'avaient qu'un seul mobile: sauver le régime, mais encore celui de remplacer les hommes qui étaient au pouvoir par d'autres hommes. Il ne s'agissait plus que d'une action qu'il fallait t mener à bien afin d'obliger tous les hommes de gauche à s'en aller et à laisser le pouvoir immédiatement.

LES ADVERSAIRES

Elle était bien menée, l'attaque, par des hommes, et je ne crois pas me diminuer en reconnaissant leur mérite. Ces adversaires étaient menés par des hommes, Ybarnegaray, Xavier Vallat, Henriot et d'autres qui savaient ce qu'ils voulaient, en un mot des anciens combattants, des hommes qui attaquaient profondément. Et l'on vit à la chambre le spectacle ultime d'un homme, dont on ne sait s'il atteint au sommet de la sincérité ou s'il frise la folie.

Cet homme Franklin Bouillon, monta à la tribune disant Daladier ce que jamais un orateur n'a pu dire à un président du Conseil : "Vous êtes un lâche, vous êtes indigne, vous avez les mains pleines de sang, vous allez immédiatement vous en aller ou je vous sors". (Applaudissements)

Lorsqu'un homme, président du Conseil, est attaqué non seulement à l'intérieur mais encore à l'extérieur, qu'il est attaqué non seulement par l'extérieur ou l'intérieur, mais ce qui est pire, par ses propres amis du même parti que lui, comme Chautemps, qui lui flanquait un coup de poignard dans le dos. Que voulez-vous qu'il fit?

Il a fait lever la séance plus tôt, vers 7 ou 8 heures, je ne sais pas exactement, car vers 6 heures j'avais quitté la chambre, j'étais allé me poster sur le mur de clôture du Palais Bourbon.

C'était certainement pour moi l'occasion unique de vivre des heures qui auraient pu permettre de tirer de toute cette affaire l'enseignement indispensable. Eh bien l J'ai laissé les orateurs et j'ai observé tout simplement sur Ie mur, seul, tous les mouvements de la place de la Concorde !

Il y avait quelques députés, qui comme moi, étaient venus, et qui, soit parce qu'ils étaient plus petits que moi, 'ou bien qu'ils étaient plus mal placés, ne voyaient rien. De temps en temps, ils me demandaient : "Où en sont-ils ?"

SUR LA PLACE

On en était aux vociférations, on criait, on échangeait des coups de feu, et à un certain moment, vers 6 heures 1/4 la foule avançait, intrépide, malgré les forces militaires, malgré les gardes mobiles, malgré les gardes à cheval, malgré tout ce qu'il y avait autour et devant le Palais Bourbon.

Elle était à peu près à 30 mètres au plus, lorsque tout à coup, tentaient de franchir les grilles du Palais Bourbon ces hommes, des milliers, des milliers, un flot humain qui s'avançait, et qu'il fallait à tout prix arrêter.

C'est, en somme toute la population qui est là. On entend le clairon, mais on ne recule pas. Plusieurs coups sont tirés, c'est la bagarre, formidable. Finalement la police, la force armée a le dessus. On oblige toute la population, tous les combattants à se retirer. Mais le combat continue. Ils reviennent. A ce moment on ne peut les faire reculer. La foule s'avance sur un pont qui a 30 à 35 mètres de large, les hommes tenaient à 40 ou 50 ce front, recevaient chacun la douche froide des lances sur la figure. Ils étaient encore obligés de reculer. Une fois de plus les pompes, finalement eurent raison.

Pour la deuxième tentative, je vous avoue franchement je ne sais pas si les pompes en ont eu raison.

LA FUITE

J'ai vu la débandade, le jardin du Palais ne connaissait plus que la présence de 125 ou 130 députés. Ils font ce qu'ils peuvent l" (rires)

Tous voulaient partir les uns mettaient leur chapeau, les autres leur pardessus, on sentait qu'il n'y avait plus dans la chambre des hommes décidés à discuter ; je ne parle pas seulement des hommes de gauche, mais de tous les députés, à gauche comme à droite, à tel point que nous avons été à deux votes successifs, 517 présents pour voter, et que nous nous trouvâmes à 6 heures 1/2 exactement, 123 à être encore en séance. Il y en avait 30 ou 35 de la droite, et les autres des communistes qui n'avaient pas quitté leur pupitre, des républicains indépendants et enfin, quelques socialistes qui tenaient encore. Tout le reste était du parti radical. On voit que le parti peut compter sur ses hommes !

DANS LA FOULE

J'ai vu à ce moment que ma place n'était plus là. La chambre ne savait que faire. J'avais moi-même autre chose à vivre. On n'a pas tous les jours l'occasion de connaitre de telles heures. J'éprouvais moi aussi le besoin de prendre mon chapeau et mon pardessus et de m'en aller dans la foule.

Des camarades ont fait comme moi. Moustier, député de droite, Fayssat des Alpes Maritimes, venaient de partir à peine. Nous avons pu tant bien que mal nous frayer un passage. Nous rencontrons une colonne d'anciens combattants, en bon ordre. La bagarre continuait et nous offrait un spectacle épouvantable : on ne savait plus ce qui allait arriver. Il y avait des agents de la sureté en civil ; étaient-ils avec nous ou contre nous ? Il Y avait la police qui, ce soir-là n'a pas fait trop de mal. La police n'a pas frappé trop fort, je ne sais pas pourquoi, je ne sais quelles peuvent en être les raisons, mais la police était moralement blessée et recevait elle aussi des coups. Mais les gardes mobiles frappaient sabre au clair, à droite, et à gauche, frappaient partout. Pendant ce temps, des coups de feu partaient de tous c8tés. Nous assistions à ce spectacle : 120, 130 hommes, réunis sur une place? Camarades, il y avait de tout dans cette échauffourée ; à côté des socialistes et des communistes, il y avait les Jeunesses Patriotes, les Anciens Combattants, les Croix de Feu, les Camelots du Roy. On trouvait tous les éléments politiques dans cette bataille interminable.

LES CAMELOTS

Bien entendu, il était aisé de constater que parmi ces hommes qui criaient, il y avait des hommes qui, eux, avaient préparé leur affaire. Cette affaire on sentait qu'elle avait été bien préparée.

Il faut rendre hommage à ces hommes, qui sont nos ennemis au point de vue idées, mais "qui savent le moment venu être des combattants formidables. Ce sont les Camelots du Roy. On ne peut pas imaginer la minutie de ces hommes. Ils avaient certainement réfléchi leur attaque; ils s'étaient mêlés à la foule, à un moment donné avec, non seulement les mains dans les poches, mais avec les poches garnies, ils avaient des billes qu'ils lançaient sous les pieds des chevaux, ils frappaient les jarrets avec des gourdins munis de lames de rasoir; ils étaient munis de boulons de fer. Les chevaux tombaient~ les cavaliers ne pouvaient pas se relever. On ne savait pas qui avait raison. C'était une véritable échauffourée. Le sang giclait ... C'était lamentable comme spectacle.

SOURICIERE TRAGIQUE

Cependant cette bataille a duré de 6 heures du soir à 1 heure du matin sans discontinuer. Cent mille hommes et plus étaient pris dans la souricière à partir de 6 heures du soir, jusqu'à une heure très tardive. Il n'était pas possible de quitter la place de la Concorde. Partout où nous allions chercher une issue, partout on rencontrait la garde mobile, partout on était obligé de se mêler à la bagarre; impossible de savoir ce que nous faisions, où nous allions.

Ça a duré tellement que les morts suivaient les morts, que les blessés suivaient les blessés. On vous a dit camarades qu'il n'y avait que 15 morts, cela n'est pas vrai. Il y a intérêt à faire connaitre au pays la vérité entière, les morts ont atteint plusieurs dizaines et les blessés ont dépassé 1500 ; les blessés eux-mêmes à un moment donné donnaient des coups de poing ! Il en était dans des états graves dans les hôpitaux, on ne sait pas s'ils s'en tireraient, c'est la science qui pourra déterminer leur avenir.

Pour résumer en tout état de cause, l'échauffourée, on peut dire qu'elle n'a pas été véritablement connue dans le pays, qu'on n'a rien vu de plus affreux depuis la Commune, qu’on avait jamais rien vu d'aussi grave et d'aussi vaste.

FIN PANIQUE

A une heure du matin, il fallait arrêter çà à tout prix, les combattants en avaient assez, la population aussi, tout le monde était fatigué, vous vous imaginez faire des rues à pied, la force armée repoussant les manifestants de l'autre côté du pont, et ainsi de suite, ballades pendant des heures. A la vérité on était aux limites de l'épuisement.' Nous avions pour la plupart les poches vides, les mains vides, ce qui prouve que nous étions venus là sans mauvaises intentions, pour marquer la volonté du peuple devant ceux qui depuis des mois et des mois dirigent le pays, leur faire comprendre que le pays en avait assez de la chambre et des agissements des députés.

Finalement c'est une fuite panique vers la rue Royale, la police avait ouvert les ailes. Heureusement, car le massacre aurait duré jusqu'au matin. A ce moment-là, l'échauffourée diminue d'intensité, le sang français avait coulé sans savoir, ni pourquoi ni comment.

Personne ne peut dire qu'il a été donné une raison véritable ce soir-là aux manifestations. Personne ne peut dire qu'il y avait une raison impérieuse de se tuer entre Français. Personne ne peut dire comment véritablement ces attaques ont été déclenchées et si elles avaient pour but de changer le régime actuel.

PREMEDITATION ?

On a surpris des conversations, on a étudié les attitudes de certaines personnalités, deviné en quelque sorte ce qui se passait dans l'esprit de chacun, mais c'était bien difficile. Voulez-vous quelques détails inédits sur la journée du 6 février?

On avait surpris certaines conversations parmi nos aviateurs militaires, qui au nombre de 18 avaient décidé de s'élever de l'aérodrome pour venir survoler la capitale avec leurs avions, et plus particulièrement la place de la Concorde. Vous vous demandez pourquoi. On ne sait pas. Cela ne s'est pas fait parce qu'on avait consigné tous les appareils.

Ces indications sont suffisantes, je crois, pour indiquer qu'ils étaient prêts à faire quelque chose, à faire un coup. Heureusement, tous les appareils furent consignés, je le répète et les aviateurs ne sont pas venus survoler Paris. Cela prouve au moins que l'affaire mijotait depuis longtemps et, bien certainement, nous nous trouvons devant un mouvement qui n'était pas connu de la foule qui allait manifester, mais qui devait l'être de quelques personnalités, de quelques individualités.

Cela s'appelle simplement un attentat contre le régime, cela s'appelle un coup d'état qui pouvait avoir des répercussions terribles pour le Prolétariat. En fin de compte, il y a eu beaucoup trop de morts et de blessés.

DEBACLE DU POUVOIR

Vous vous imaginez que de pareilles nouvelles ne sont pas sans être inquiétantes. Les uns sont partis, les autres sont restés toute la nuit à discuter pour garder la République et le Régime.

Dans de telles conditions autant de questions qui se posaient, autant de questions qui demandaient une réponse, une solution. La situation devenait plus tragique qu'elle ne l'avait jamais été. Pourquoi? Parce que la population de Paris n'a pas permis au Ministère en présence duquel elle se trouvait de rester, après avoir vu tant de morts, tant de centaines de blessés. Incontestablement, à ce moment-là, la population n'a qu'un souci: venger les morts, et on ne voit plus autre chose; il ne s'agit plus d'une question d'idées, il ne s'agit plus d'une question de front ou de programme, il s'agit du sang qui coule, du sang français qui coule par la faute des Français. Bien ou mal comprise, cette question s'est posée à la foule.

Le lendemain dans les journaux annonçaient une manifestation. Le Ministère est à son travail, un ministre vient et donne sa démission ; un autre donne sa démission, un autre encore donne sa démission.

Le président du Conseil, pourtant est à son travail, il est abandonné par une partie des membres du Cabinet. Il n'en reste que 5 ou 6 seulement autour de lui. Ils posent la question au ministre de l'Intérieur et disent: "Comment tenir ?" Avons- nous les possibilités de résister aux manœuvres ? Par quels moyens? La troupe, comment va-t-elle se défendre. Il y a des mitrailleuses. Alors les soldats français vont tirer sur la population française ? Nous sommes bien obligés de nous servir de la troupe pour préserver le pouvoir fut la réponse.

Et Daladier est parti.

FAUX BONSHOMMES

Vous connaissez la manifestation qui a eu lieu avant-hier soir, provoquée par les Communistes, vous en connaissez les résultats.

Pourtant "L'Humanité" publiait tous les jours un article de tête, signé Marty, qui indiquait aux camarades communistes que le temps était passé ou sans armes sans préparation, sans cadre, on pouvait descendre dans la rue. Aujourd'hui, on se fait hacher par la force armée. Il disait tout cela au cours de ces articles et, ajoutait-il : "Il vaut mieux que vous fassiez une heure de grève dans votre atelier, dans votre usine, il vaut mieux que vous obteniez le départ de contremaîtres trop sévères, il vaut mieux obliger le patron à accorder une augmentation de salaire, plutôt que de descendre dans la rue, ce qui ne pourrait pas aboutir, parce que nous ne sommes pas préparés.

PAS DE SANG INUTILE

Ce langage je le tiens depuis longtemps. Je vous dis constamment : descendre dans la rue, pourquoi faire ? Pour que vous soyez victimes, et, pour payer les pots cassés, pour qu'il y ait des cadavres qui jonchent le sol du pays ?

Non, je dis à mes amis qu'il ne faut pas descendre dans la rue, il faut que le moment soit choisi par nous, pour bien savoir où nous allons.

MINISTERE DE VIEUX

Et alors, on a constitué un nouveau ministère. A qui a-t-on fait appel ? A des gens des nombreuses contrées de France, à un homme respectable sans doute, le Maréchal Pétain, mais qui a 81 ans. Et on a choisi pour conduire la République, un homme qui avoue 70 ans - mais je crois qu'il faut ajouter 3 ou 4 ans de plus - à Cheron, un brave homme, mais rien que cela. A côté de lui Tardieu, Flandin, et puis à c8té de ces deux personnalités il y a Marin, un homme de droite, celui-là, dans toute la force du mot. Je dois indiquer qu’il est un homme grand et honnête, un homme qui est sacrement français jusqu'à la moelle des os.

Et à tous ceux-ci nous ajoutons des hommes qui prétendent être des radicaux-socialistes. Herriot qui, pour sauver le pays, accepte de faire partie du Ministère. Il se rend compte tout de même que sur 18 ministres, il y en 11 de droite. Il fallait bien que ceux qui courent derrière les portefeuilles aient une dernière chance à jouer. Riolle représente les combattants, ce n'est pas un homme politique, il est sans doute à sa place.

PARADOXE

Mais enfin, il arrive ceci : le ministère se compose d'hommes de droite, et la chambre se compose d'hommes de gauche. Ce n'est pas parce que Marquet a estimé devoir accepter le portefeuille du Travail que la gauche est représentée. Ce n'est pas non plus parce que Herriot, avec 5 Collègues, a estimé devoir faire partie du Ministère où se trouve Tardieu, l'ennemi du prolétariat. Ce ministère est-il l'image fidèle du corps électoral et du pays? Ce n'est pas prouvé. Il y a bien en vérité 400 dépités environ élus avec un programme nettement de gauche, 200 et quelques de droite, mais ce sont les 200 et quelques qui sont aujourd'hui au pouvoir contre les 400. -

OU ALLONS-NOUS ?

Eh bien, où allons-nous? Quelle est la situation créée? Avais-je raison de vous dire qu'il ne suffit pas de vous prononcer en période électorale, il ne suffit pas de faire des meetings où vous entendez des théories, il faut que vous suiviez un programme choisi, il faut que les idées soient portées à la connaissance du public, il ne faut pas, que vous soyez sans tempérament, sans cœur, sans voix, sans cerveau. (Applaudissements)

ET DEMAIN?

Que va faire un ministère ainsi composé? Ce ministère qu'on a appelé à un certain moment un ministère de Salut Public, pouvait véritablement l'être. Mais je pense que non, que ce n'est pas exact. Le problème demeurera entier. Le problème est soumis à tous ceux qui ont des responsabilités. Il faut apporter des solutions. Il ne suffit pas d'envoyer par exemple le Maréchal Pétain au Ministère de la guerre, pour que les Allemands eux, continuent à demander "l'anschluss", demain ils continueront à réclamer nos colonies et après-demain ils viendront nous attaquer.

En, vérité, il ne faut pas placer Pétain à la guerre, sous le fallacieux prétexte que sa présence permettra aux Italiens de passer sous silence leurs appétits énormes. Il ne faut pas placer Tardieu et Herriot dans un ministère qui n'est plus un ministère de concentration, mais un ministère de droite parce que demain le nombre des chômeurs du pays qui crient famine, au lieu de diminuer, augmentera.

DICTATURE DES BANQUES

Vous sentez bien que demain ou n'aura pas besoin de savoir si le Ministère permettra à notre économie le redressement. Nous sommes convaincus que demain les banquiers s'entendront avec les ministres, parce que les ministres sont obligés de se soumettre aux banquiers. (Applaudissements)

Et alors que va-t-il se passer ? Le Ministère est un ministère de droite, je le répète, et le Prolétariat n'a rien à attendre de lui. Demain sera à l'œuvre. On parle de calme, .on parle de réflexion, on parle d'apaisement ...

La chambre est formée de membres appartenant en majorité à la gauche, avec un programme de gauche. Et que va faire l'homme qui a la prétention de constituer le Ministère? Que va faire Mr. Doumergue ? On verra défiler dans les débats FIandin, Marin, Tardieu et quelques autres ; le spectacle sera joli. Les 400 députés de gauche seront obligés d'homologuer ce qui sera la pensée des hommes de droite, de ces hommes de droite qui sont les ennemis des idées qu'ils représentent eux-mêmes.

QUELQUES SOLUTIONS

Et puis que va-t-il se passer? Parce que d'ores et déjà j'ai pensé à toutes ces questions qui nous sont soumises, nous avons le devoir de demander des solutions au Parlement. Aurons-nous ces solutions? Il n'en est rien, absolument rien. Le Ministère qui vient de voir le jour se présente à la chambre en disant tout simplement aux députés: "Nous demandons six mois de calme entre les partis. Nous sommes un ministère de trêve. Laissez-nous dans la tranquillité~ pendant six mois, nous travaillerons pour notre pays.

Dans six mois d'ici, si vous n'êtes pas d'accord entre vous, il faudra revenir devant les ~lecteurs."

LE DRAME DU CHOMAGE

Mais pendant six mois, le nombre des chômeurs va en augmentant toujours davantage. Il y aura des souffrances terribles pour le pays, elles seront telles que l'opinion déjà inquiète, pourrait peut-être faire un mouvement d'une autre envergure.

Quelle préparation avons-nous pour cela ? Aucune. Il est peut-être exact que vous soyez moralement en état de faire quoique ce soit, mais il n'est pas exact que vous le puissiez matériellement, et je ne prononce pas ces paroles pour vous décourager, je les prononce pour que vous puissiez embrasser les réalités. Ces réalités il ne faut pas les fuir, il faut chercher à les réaliser et comment ? .

S'ORGANISER

Sans une ligne de conduite bien tracée, il n'est pas exact qu’on prétende que nous sommes en état de résister. Il n'est pas exact de baser l'offensive de demain avec l'assurance d'obliger Monsieur le Ministre à s'en aller. Nous serons obligés de le subir pendant six mois, et comme la situation deviendra de plus en plus fâcheuse pour notre pays, alors nous verrons.

Non, il n'y aura pas aujourd'hui d'amélioration possible, parce qu'il ne peut pas y en avoir avec notre économie dirigée par des Capitalistes ou par des institutions capitalistes.

FASCISMES

Et alors, dans six mois nous verrons ce que nous verrons. Du moment que Tardieu a pénétré dans un ministère, et pris le levier de commande avec ceux qui sont les siens. Croyez-vous que nous n'allons pas vers le fascisme?

Je ne prononce pas ces paroles dans le sens où les ouvriers les prononcent. Le Fascisme est simplement un mot dont on se sert aisément. Vous y voyez, vous, le sens péjoratif que tous les ouvriers mettent dans ce mot. Le fascisme a une définition, mais il s'agit de savoir s'il doit être à droite ou s'il doit être à gauche. Il s'agit de savoir si ce sont des hommes de droite qui doivent commander ou diriger, ou si ce sont les ouvriers et les travailleurs qui doivent être au pouvoir. (Applaudissements)

VELLEITAIRES

Toute la question est là. Depuis des années, nous nous trouvons en présence d'un nombre considérable de ministres décidés à mener une action, mais ils l'ont préparée cette action, à leur façon. Je ne vois pas parmi les six ministres que comporte le Cabinet, qui sont des hommes dits de gauche, des hommes capables vraiment de résister. Ils se sont affaissés lamentablement. Ils vont mettre le genou à terre, trop heureux de pouvoir ainsi "sauver leurs meubles". Mais du Prolétariat, ils s'en « fichent» royalement. Voilà la situation.

ENSEIGNEMENT

Eh bien, nous autres, nous sommes réunis pour que cette journée du 6 février nous serve d'enseignement, et cet enseignement je vais vous le définir.

Il n'est pas possible d'avoir le dessus en manifestant dans les rues, les poches vides e~ les mains vides. Il n'est pas possible d'avoir de l'action, de faire triompher les idées, si au préalable, il n'y a pas eu préparation sérieuse. Est-il possible d'obtenir des résultats si nous n'avons pas des forces disciplinées. Une force qui s'impose par sa ligne de conduite, de combattants pour les idées, et surtout si nous n'avons pas la foi !

Celui qui a la prétention de combattre sans foi, est incapable de servir la cause qu'il veut représenter. (vifs applaudissements)

Il faut avant de faire quoique ce soit avoir la foi. Que désirez-vous ? Que voulez-vous ? Vous voulez à tout prix prendre le dessus, vous voulez diriger, vous voulezfàl.re triompher la cause, vous voulez que le bon sens puisse régner. On ne peut pas le faire régner en prononçant des discours, en faisant des manifestations dans la rue ; il faut le faire régner en l'imposant par la force.

Mais cela, vous ne pouvez pas le faire sans préparation. Vous n’êtes pas préparés. La manifestation de demain dans la rue, c'est de la sottise ! On nous trompe une fois de plus ! La C.G.T. appelle tous ceux qui sont syndiqués, elle les invite à descendre dans la rue et à manifester paisiblement. Avez-vous vu un général qui, avant de livrer bataille s'en va chez l'ennemi lui dire: "Je vous demande la permission de descendre dans la rue." Est-ce qu'il vous est arrivé de voir pareille chose dans l'histoire? Avez-vous jamais vu un de nos généraux dire aux représentants ennemis : "Vous savez demain, je sors, attention, faites attention l" Mais tout cela est de la puérilité 1 on se moque du public. Allons donc !

LE VAUDEVILLE DE LA GREVE

Voyez-vous Mr. Jouhaux allant trouver le Président de la République pour lui faire connaitre ses sentiments ? C'est toujours Jouhaux qui lance l'ordre de bataille dans toute la France, qui ordonne 24 heures de grève. Et puis après? 24 heures de grève, qu'est-ce que ça représente ? L'ouvrier aura serré sa ceinture pendant 24 heures. Pendant un jour il n'aura pas touché un salaire que les patrons ne paieront pas. Cela aura rapporté quoi aux ouvriers ? On dira que les ouvriers de France sont incapables de faire quelque chose, moi, je crois qu'ils valent encore mieux que les autres.

Vous sentez qu'il faut une réorganisation sérieuse, de tous les instants? Nous ne voulons plus de ceux qui ont profité de la politique. Nous voulons le bon Socialisme. Nous demandons à être débarrassés de certaines personnalités. (Applaudissements)

LE BALAI

Par conséquent, il y a des mesures qui s'imposent. Ces mesures consistent à balayer les rangs du Prolétariat de tous les hommes politiques ou dirigeants qui ont trop profité dans un domaine comme dans l'autre.

Il n'est pas vrai qu'un homme, qu'un bourgeois, qui a table mise, sans souci du lendemain, ni pour lui, ni pour les siens, ni pour ses enfants, ni pour ses petits-enfants, qui se réclame sous un fallacieux prétexte des socialistes, il n'est pas vrai qu'il puisse demain se rendre au combat. Il n'est pas vrai qu’un ouvrier, qui ne travaille plus de ses mains depuis des années et des années, qui a des appointements qui dépassent les appointements des plus grands spécialistes aux frais de notre pays, il n'est pas vrai qu'il puisse se faire casser la figure dans la rue pour défendre les idées des ouvriers ! (applaudissements)

Il n'est pas vrai non plus, lorsqu'on a vécu en contact avec la bourgeoisie, que cette bourgeoisie s'appelle radicale centriste ou modérée, qu'on a demandé à celle-ci toutes sortes de services, qu'on a eu l'occasion de l'obliger mille et une fois, il n'est pas possible qu'on puisse lutter contre ces hommes. Et vous comprendrez pourquoi. Parce que comment voulez-vous avoir la possibilité de combattre contre Blum et Tardieu par exemple, Bouisson et Tardieu l'un révolutionnaire et l'autre extrême-droite, ces amis de tous les instants, comment peuvent-ils poursuivre leur idéal ? Le jour où ils ne seront pas à leurs petites combinaisons, il sera possible de faire quelque chose de bien. Il faut les empêcher de continuer leurs malversations à l'égard du pays, tant au point de vue politique qu'au point de vue administratif.

REVOLUTION

Et la Révolution ? Etes-vous prêts à recevoir demain matin la venue du pire des fascismes français ? Si c'est non, nous devons réfléchir, ne pas nous lancer dans un mouvement dont on peut dire qu'il n'apporte rien du tout. Quant à la grève de demain, ceux qui le veulent, doivent la faire ; la liberté est un sentiment qui s'impose toujours aux hommes loyaux, vous avez donc la possibilité de faire grève. Mais manifester dans la rue pour que les terroristes puissent aller crier, chanter, donner des coups de couteau, saccager les magasins, envoyer des pierres dans les vitrines, et ensuite faire retomber la faute sur les AMIS de SABIANI, non ! Sabiani ne veut pas cela ! (applaudissements prolongés)

Il y a ici d'ex-députés malheureux encrassés dans la bourgeoisie, comme MM. Emile Roux et Canavelli. Voyez-vous ces faces rubicondes lançant des pierres, des grenades à la main et les flanquant contre la Bourse de Commerce, c'est de la bouffonnerie, c'est pour rire !

PAS DE RISQUE

Mais ils auront demain la possibilité de crier aux oreilles du Prolétariat : "Nous aussi nous sommes des prolétaires, nous sommes encore dans les rangs de prolétaires ! ". Canavelli oubliera de vous dire qu'il est l'employé des Messageries Maritimes à des appointements qui sont deux fois les appointements d'un député.

Et Rémy Roux aussi a rarement cherché à tromper encore le public. Ils iront très paisiblement demander la permission au Préfet de manifester. On l'a demandée sans doute au ministère, on l'a demandée peut-être au Président de la République. Il n'y a pas de danger pour ces gens-là. Ce sont d'ailleurs des fonctionnaires qui ne courent aucun risque, qui savent qu'il n'y a aucun risque à courir.

On n'a pas des hommes décidés à défendre des idées, mais des hommes qui descendent dans la rue parce qu'ils savent qu'ils ne courent aucun danger.

POUR COMBATTRE, POUR MOURIR

Nous, lorsque nous descendrons dans la rue, nous savons que ce sera pour y combattre. Lorsque nous descendons dans la rue, ce sera ou pour tuer ou pour nous faire tuer voilà ! Nous sommes avec les gens de cœur. Nous sommes des hommes décidés à combattre, et qui préparons le combat pour défendre la République, les institutions républicaines et le prolétariat.

Mes amis sont décidés à défendre le pays, avec toute la force nécessaire ; ils répondront aux attaques, qu’elles viennent du dehors ou qu'elles viennent du dedans. Il faut qu'on nous trouve debout, prêts à lutter, à nous faire hacher, à combattre jusqu'au dernier souffle pour notre pays. (Applaudissements)

SAGE LABEUR

Voilà pourquoi, aux heures graves que nous subissons, je demande à mes amis du Parti, à mes amis de l'Union, de bien se rendre compte que nous avons un travail sérieux à faire. Il faut, non pas compter sur le grand nombre, peu importe le nombre, il ne me dit rien qui vaille. Je préfère une minorité d'hommes qui agissent et qui ne se perdent pas dans des discussions à perte de vue.

Je pense que vous m'avez compris. Dès demain, nous prendrons nos dispositions, elles seront excessivement sérieuses. Dès demain dans nos sections, dans nos sous-sections, parmi mes amis,

Il y a un travail qui s'impose. Il faut que nous puissions montrer notre volonté, qui est la volonté faite à l'image de tout le prolétariat. Je vous demande de vous unir, je vous demande d'avoir le cœur bien accroché, je vous demande d'avoir de la discipline, du respect pour notre pays, avec la volonté ferme de le défendre ... si besoin était. Nous nous passerons le mot d'ordre, les uns les autres, nous suivrons de très près les évènements, et si demain la chambre est dissoute, soyez convaincus que je n'aurai de cesse que lorsque vraiment je sentirai que nous avons dans notre ville et aussi dans notre nation, une organisation vraiment bien outillée, sérieuse, vraiment armée pour nous défendre. Je serai à vos côtés, non pas à la manière de certains hommes politiques, je ne serai pas à la queue, je serai, moi, à votre tête, et s'il faut tomber, je veux être le premier parmi vous.

(Marseille Libre - 16 février 1934 - p. 2, 3, 5)

 

 

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16 février 2014 7 16 /02 /février /2014 17:31

MEME PAS PEUR !

 

L’IRAN RAPPELLE LE PRINCIPE DE LA LIBERTE DES MERS

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En droit international, tout navire peut librement circuler sur toutes les mers à l’exclusion des zones périphériques : eaux territoriales (ET) et zones économiques exclusives (ZEE) des états côtiers sur lesquelles ceux-ci exercent leur souveraineté totale (ET)  ou partielle (ZEE).

Ce principe est utilisé « ad nauseam » par les Etats-Unis qui patrouillent lourdement sur tous les océans du globe au plus prés des eaux souveraines des autres et certainement à l’intérieur de celles-ci mais  avec des sous marins.

Depuis deux ans déjà l’Iran annonçait qu’il allait envoyer des navires de guerre patrouiller au large des côtes étasuniennes.

Le projet vient de prendre corps.

En Janvier le vice-amiral Habibollah Sayyari a annoncé le départ de deux navires de guerre de la 29° flotte: la frégate SABALAN et le navire de ravitaillement KHARG vers l’océan atlantique  où ils doivent aujourd’hui se trouver.

En permettant  le ravitaillement en carburant  de la flottille, le Kharg en garantit l’autonomie, l’Iran n’ayant pas à solliciter d’escales dans un port étranger pour  faire le plein.

Cette modeste flottille  composée de deux navires de plus de 20 ans d’âge ne peut évidemment prétendre impressionner militairement la gigantesque flotte guerrière étasunienne mais la démonstration d’indépendance politique dans le respect du droit international est, elle, d’une grande force.

Elégante façon de rappeler qu’en permanence depuis la base de Bahreïn la V° flotte US  et ses alliés des l’OTAN viennent parader, tous missiles dehors, au large des côtes iraniennes sur fond d’annonces de bombardements de l’Iran qui n’ont cessées que depuis l’accord transitoire sur le nucléaire iranien.

On sourit en imaginant l’intense mobilisation et  l’extrême nervosité des services d’écoute et de surveillance aériens, terrestres et sous marins de l’OTAN  face à l’arrivée de ces deux navires à proximité du  « sanctuaire » !

 

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LIBERTE DES MERS

Suite

Nouvel accès de fièvre face à des navires de guerre « non OTAN et non occidentaux ». Cette fois la fièvre saisit un allié très fidèle des Etats-Unis : l’Australie.

Imaginez : deux navires de guerre chinois viennent de faire un périple dans les eaux internationales qui les a conduits à proximité des côtes  nord de l’Australie.

Passés par le détroit de la  Sonde entre Sumatra et java, ils ont longé Java par le sud avant de remonter vers le nord en passant par le détroit de Lombok à l’Est de Bali. Pas d’émotion en Indonésie qui entretient des très bonnes relations avec la république populaire depuis la récente visite de Xi Jinping à Djakarta

 

Pour mémoire, les Etats-Unis ont 6 flottes de guerre complètes en service avec porte-avions (en principe deux par flotte mais ils sont en retard sur cet objectif), bombardiers stratégiques, missiles nucléaires, sous marins, tout le nécessaire du tueur mondial.

 

 

Second Fleet - in the Atlantic. Third Fleet - in the Eastern Pacific ...

Numérotées de 2 à 7 elles sont basées

 

Deuxième flotte (Atlantique) : Norfolk (Virginie)

Troisième flotte (Pacifique est) : Pearl Harbour

Quatrième flotte (Caraïbes, Amérique centrale et Amérique du sud) Mayport (Floride)

Cinquième flotte (Moyen Orient) : Manama (Bahreïn)

Sixième flotte (Méditerranée) : Naples (Italie)

Septième flotte (Pacifique Ouest –Océan Indien) : Yokosuka (Japon)

Cette dernière est chargée de traquer la marine chinoise dans son périmètre d’action et doit être de plus en plus sur les dents.

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17 janvier 2014 5 17 /01 /janvier /2014 16:28

 

 

 

A 50 km à l’ouest de la Havane sur la côte nord de l’ile, Cuba  ouvre un nouveau port et autour de lui une zone économique spéciale directement inspirée des ZONES ECONOMIQUES SPECIALES ouvertes par la République populaire de Chine au début des années 80. Ces zones destinées à accueillir dans une série de ports chinois les investisseurs capitalistes étrangers ont permis une modernisation très rapide de l’industrie chinoise et la formation d’une classe ouvrière et technicienne abondante projetée en quelques années dans la technologie industrielle la plus avancée. S’il est incontestable que cette fraction de la nouvelles classe ouvrière chinoise a subi les conditions d’exploitation semblables à celles que les mêmes multinationales capitalistes imposaient à leurs salariés sous d’autres cieux, cette industrialisation de la Chine a d’une part stimulé la modernisation de l’industrie d’Etat ( qui reste aujourd’hui dominante dans la production globale) d’autre part permis à la Chine d’aborder le marché mondial en position excédentaire, ses exportations dépassant largement ses importations et garantissant à l’Etat chinois et à sa banque centrale non indépendante de tirer tous les avantages politiques d’une trésorerie florissante.

Le port et la zone industrielle  ,appelée zone spéciale de développement, de Mariel  ont donc pour objectif de faire pénétrer sous un contrôle très strict de l’Etat des capitaux étrangers qui bénéficieront de conditions favorables mais qui , outre le caractère formateur de la nouvelle classe ouvrière cubaine , aura en plus dans le cas cubain l’avantage de constituer une mise en cause directe de l’embargo. En effet aucun grand groupe capitaliste ne viendra s’installer là au cœur du marché de la Caraïbe et à moins de 100 km des côtes de Floride s’il ne peut exporter sa production. S’il est probable que les grandes firmes US seront réservées face à cette nouvelle opportunité, elles ne pourront rester longtemps indifférente au fait que leurs concurrents chinois, européens, brésiliens ou autres profiteront de l’aubaine. Ainsi sera vérifiée l’hypothèse selon laquelle la perte de l’hégémonie économique conduit progressivement à la  perte d’hégémonie politique.

La création du nouveau ensemble industrialo-portuaire est en  lui-même l’illustration de cette transformation.

La baie de Mariel est un excellent site portuaire qui permettra de décongestionner La Havane

 

 

 

 

 

 

 

 

La construction des infrastructures portuaires (quais- routes…) est revenue au groupe de BTP brésilien ODEBRECHT qui domine le marché latino américain. Les travaux  - environ 1 milliard de dollars - ont été financés par un prêt du gouvernement brésilien. Le port, équipé de grues chinoises  pourra recevoir les plus  grands navires porte-conteneurs et pourra servir de centre de redistribution pour la Caraïbe de marchandises venues de Chine et d’ailleurs en passant par le canal de Panama dont les travaux d’élargissement s’achèvent. La gestion du nouveau port a été confiée à l’autorité portuaire de Singapour. Le port de Singapour, le second du monde après Shanghai, a pris en gérance des terminaux à conteneurs dans le monde entier : Italie, Belgique, Pays-Bas, Japon, Corée du Sud, Argentine, Panama.

Les nouvelles grues chinoises arrivées par mer sur un navire spécialisé sont maintenant en place à Mariel

 

Cuba s’insère ainsi de  plein pied dans les réseaux du commerce international tout en gardant la maitrise d’ensemble sur cet espace ouvert au capital étranger. Le territoire de la ZES est séparé administrativement du reste du pays, les flux de marchandise et de personnel sont contrôlés.

Le port de Mariel est symboliquement un énorme pied de nez et une sorte de réplique historique à l’enclave étasunienne de Guantanamo à l’autre extrémité de l’ile. Guantanamo souveraineté perdue, occupation étrangère hostile et honteuse. Mariel, début  du déblocage de l’ile organisé depuis six décennies par le puissant voisin, reconquête du droit à commercer librement.

 

Mariel l’autre histoire

 

 

La baie et le port (petit à l’époque) ont été à la une de la presse internationale en 1980. A l’époque, le gouvernement cubain toujours soumis à des pressions et à des tentatives de déstabilisation des Etats-Unis  est aux prises avec les conséquences économiques de l’embargo. Il décide d’ouvrir la porte à ceux des cubains qui veulent fuir le pays et qui se sont mis à  organiser des manifestations  plus ou moins violentes pour obtenir ce droit.   A partir du 20 Avril 1980  et pendant 5 mois  125000 cubains vont embarquer sur des petits bateaux à moteur en direction de Key West à l’extrême sud de la Floride. Ils sont connus dans le pays comme les « Marielitos ». 

Ne pouvant pas accuser Castro de maintenir ses opposants en prison, la propagande occidentale changera  de discours et prétendra qu’il n’a laissé partir que des débiles mentaux et des repris de justice. Il y en avait mais dans des proportions faibles, les chiffres avancés ne dépassent pas 2% du total. En réalité les services de l’émigration US ont été débordés par ce flot inattendu et en même temps tétanisés par la crainte qu’une fraction  de ces émigrants soient des agents cubains. Carter sera contraint de négocier un accord avec Castro pour régulariser cette vague d’émigrants.  Beaucoup de ces émigrants rejoindront la communauté cubaine de Miami  et trouveront progressivement leur place dans l’économie locale.

Mais ce phénomène de masse sera en partie masqué par l’industrie médiatique étasunienne qui produira une nouvelle version cinématographique de SCARFACE.  Réalisée par Brian de Palma en 1983 elle remplace, sans en faire cependant un pamphlet anticastriste, l’AL CAPONE du film de Howard Hawks par un de ces émigrés cubains qui devient aux Etats-Unis un des chefs du trafic de drogue. Une constante de l’histoire des Etats-Unis où chaque vague d’émigration voit éclore en son sein une minorité de gangsters d’où vont émerger des grands mafieux  comme  Lucky Luciano  ou  Rudolf Slansky.

La littérature   gardera également la trace de l’évènement puisque l’écrivain cubain Reinaldo Arenas, poursuivi par le régime cubain pour son homosexualité  et anticastriste acharné, échappera à la surveillance policière et embarquera à Mariel. Il se verra ouvrir toutes grandes les portes des universités et des maisons d’édition pour exprimer son hostilité au régime cubain. Il raconte son départ à Mariel dans son autobiographie  «  Avant la nuit »   et avouera aussi avant sa mort sa déception face à la réalité de  la société étasunienne.

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17 janvier 2014 5 17 /01 /janvier /2014 11:43
La guérilla colombienne en prise avec les problèmes de l’époque

 

Les combattantes des FARC-EP colombiennes disposent d’un site internet où elles expriment leurs positions sur la guerre en cours et en même temps, au milieu des combats, elles réfléchissent, car leur engagement dans la guérilla se fait au nom d’une société nouvelle à construire .

N’en déplaise aux propagandistes du système politico-oligarco-policier en place en Colombie dont le « grand inquisiteur Ordonnez » qui défend l’article 42 de la constitution colombienne qui stipule que « La famille est la cellule fondamentale de la société » est le porte-parole, on touche là à la différence fondamentale entre la guerre populaire et le terrorisme.

Dans un article récent*, la guérillera Natalie Mistral aborde la question du mariage homosexuel. Sa compréhension dialectique du problème montre à l’évidence que les FARC-EP sont un mouvement politique construit que dans la jungle on a de bonnes lectures et qu’on réfléchit.

*http://mujerfariana.co/index.php/vision-de-mujer/103-matrimonio-igualitario-o-abolicion-del-matrimonio

 

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« La famille est la cellule fondamentale de la société »

Une déclaration qui est apparemment irréfutable, presque évidente. La question est celle-ci : de quelle famille parlons-nous ? De La famille " monogame et hétérosexuelle «, comme préconisé par le Grand Inquisiteur Ordoñez, semble être le modèle auquel se réfère la Constitution.

Il n'est pas le seul modèle possible. Contrairement à ce qui est dit par les institutions bourgeoises, le modèle «traditionnel» n'est pas universel, il n'a pas toujours existé, et il n'est pas le même partout. La famille, même si elle est l'unité de base de l'organisation sociale, est le résultat de l'évolution historique de chaque société.

Perte de valeurs ! Abomination ! Corruption de la société ! Ce sont quelques-uns des adjectifs que nous entendons souvent lorsque l'état de la société est en cours de discussion. En fait, nous assistons à un changement historique dans la structure familiale. Regardons au-delà du jugement de savoir si nous aimons ces modifications ou non, de percevoir la dialectique de l'histoire en plein développement. Réfléchissons sur les changements, socio-culturels, scientifiques, économiques qui nécessitent l'adaptation de l'organisation sociale aux vrais besoins humains de ce temps. Modifications qui nécessitent parfois de rompre avec les perceptions bien ancrées et que peuvent impliquer une certaine forme de violence.

Du mariage de promiscuité et de groupe dans les débuts du développement humain, de la famille polygame à la polyandrie, à la famille monogame patriarcale, le moteur du changement a été la croissance de la capacité de production. Cela a provoqué un déséquilibre dans les relations de pouvoir en faveur du mâle humain, qui l’ont amené à trouver un moyen pour assurer la perpétuation de sa propriété. Ensuite, il a imposé, non sans résistance, la stricte monogamie aux femmes pour être en mesure d'identifier sa progéniture et la faire hériter de ses biens (1).

Les différents cultes chrétiens et le capitalisme moderne ont changé la famille patriarcale "traditionnelle" dans la pierre angulaire du système économique moderne, en encourageant la division sociale et sexuelle du travail. Sur ce noyau de base, consolidé par l'idée que c'est la seule possibilité naturelle, la culture capitaliste est tout entière construite. Donc, nous ne devrions pas être surpris que le débat sur ​​le mariage homosexuel génère tellement de rejet et de polémiques.

Le fait que deux personnes du même sexe puissent acquérir autant de droits et de devoirs que les couples mariés n'est pas seulement une question de liberté ou d’éthique pour certaines personnes, il modifie la définition de l'institution familiale.

Cela ne signifie pas que la revendication du droit pour les couples homosexuels de se marier répond à une impulsion révolutionnaire anti-capitaliste, il s'agit plus d’un désir individuel d'intégration dans le système existant. S'il est clair que l'identité sexuelle ne définit pas les positions politiques, le rejet des différences par les secteurs les plus conservateurs est souvent un détonateur de la révolte et peut conduire à une plus grande participation politique et sociale. Cependant, la communauté LGBTI ne remet pas toujours en question l'institution de la famille bourgeoise, elle tend généralement à la reproduire.

L’exigence de la communauté LGBTI du droit de créer un abri juridique dans les paramètres bourgeois, est tout à fait légitime et compréhensible. Il s'agit tout simplement de la réalisation de l'acceptation sociale " normale " dans le cadre du droit à la différence. Mais il s'agit aussi de résoudre des problèmes concrets et quotidiens , sur l'obtention de réels avantages matériels dont bénéficient les couples mariés .L’officialisation de l'union entre deux personnes ( ou même plus ... ) qui veulent créer une famille répond à la nécessité matérielle d’ acquérir des droits et avantages légaux , en matière fiscale et de reproduction , entre autres . Ce ne sont pas des lois naturelles, mais de simples conventions sociales.

En ce sens, nous avons le devoir moral de soutenir le droit de chacun de décider de son corps et de son destin. Mais notre lutte va au-delà. La lutte anti- capitaliste prend place dans la construction d'une nouvelle société dont les valeurs sont l'antithèse de l’hypocrisie bourgeoise. Le vrai respect des différences, la solidarité, la justice véritable qui implique la justice sociale et la dignité doit être le fondement de cette nouvelle société. Et par conséquent, nous devons repenser les notions de famille et d'éducation. C'est -à-dire que nous devrions changer l'idée même du mariage.

Le mariage, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est avant tout un contrat économique (2). La notion de l'amour dans les couples mariés, ce qui n'est pas nouveau, ni idéal, n’a été que récemment intégrée dans les sociétés occidentalisées, comme un facteur déterminant dans ​​le choix du couple. Au cours du XXe siècle, surtout dans les classes inférieures, lorsque l'héritage et succession n’avaient plus aucune pertinence, il a été imposé comme une règle. Cette conception est le début de la transformation moderne et progressiste de la structure familiale. La priorité d'une relation fondée sur l'amour et non sur des motivations économiques est ce a progressivement permis l'acceptation du divorce, parce que quand l'amour disparaît, la raison d'être mariés disparaît, aussi. En d'autres termes, du mariage comme destin inévitable, on est passé à une situation où l'individu peut faire un choix. De permanent le mariage, est devenu de nos jours un état temporaire.

Et cela n'aurait pas été possible si les femmes n'avaient pas d’abord acquis une relative autonomie financière. Peu à peu, elles ont conquis le droit de ne pas être simplement l'organe de reproduction de la société. Ainsi, grâce aux luttes des femmes pour décider de leur vie, nous avons aujourd'hui la possibilité de construire d'autres structures familiales.

Cependant, l'archétype de la famille nucléaire heureuse persiste encore : père, mère et enfants, ensemble et heureux, sous un même toit et une structure économique où tout le monde a un rôle défini. Dans notre pays, il est toujours considéré comme naturel d’apprendre aux filles à être des femmes au foyer attentives et aux garçons à « être quelqu'un dans la vie " ! Mais la réalité montre que ce modèle est en train de disparaître. En Colombie, dans les deux dernières années seulement 19% des couples à l'âge adulte ont contracté un mariage civil ou religieux, tandis que 39 % vivent avec un partenaire. Sur 100 enfants qui naissent, 85 ont une mère célibataire et 12 % des enfants colombiens ne vivent pas avec leurs deux parents (3).

La fonction principale de la famille continue à être l'éducation des nouvelles générations. Ce qui est vraiment en train de changer, est la composition de la famille et les rôles joués par les membres de la même famille dans l'éducation des enfants. En Colombie , les différentes cultures et traditions - ce qui en soi ne correspond pas toujours au modèle bourgeois – chrétien de la famille , les besoins économiques , la violence émanant du conflit interne , l'urbanisation de plus en plus importante et l'incrédulité envers les religions , sont des facteurs qui ont influencé les modèles nouveaux ou renouvelés de familles, comme les familles monoparentales , reconstituées , ou pluri-générationnelles ou étendues .

La multiplication de ce qui était autrefois des cas individuels nous a permis d'éliminer les tabous et les jugements sur la capacité de ces nouvelles familles à élever leurs enfants Cependant, ces nouveaux modèles génèrent des changements culturels qui à leur tour nécessitent une évolution de la structure sociale dans l'organisation des responsabilités éducatives.

Le déséquilibre actuel entre la famille et les institutions existantes, renforcée par la résistance des secteurs conservateurs au pouvoir, génère ce que beaucoup décrivent comme " perte des valeurs «. Oui, il y a une perte des valeurs bourgeoises qui provoque un écart entre les modèles qui sont encore considérés valides ou «bons » et les sentiments et les expériences de la population. Ce sont des signes de l'incohérence du système capitaliste et de la nécessité de réinventer l’avenir.

Le problème du modèle familial existant est donc une question qui devrait être prise en compte lorsque nous commençons à réfléchir aux structures d'une société nouvelle. L'exercice que nous faisons en tant qu'organisation à La Havane avec le développement de nos propositions " minimum " doit prendre en considération cette conception.

Promouvoir une transformation égalitaire des structures sociales et l'évolution des structures éducatives, visant à répondre aux besoins émergents de la communauté, conduit à repenser le concept ", de famille sans le lier au mariage. Le contrat de mariage deviendrait alors inutile.

 

1. Engels, F. L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, p. 40 : " son but exprès est de porter des enfants dont la paternité est incontestable, et cela nécessite paternité incontestée pour les enfants, comme héritiers directs, qui doivent un jour entrer en possession des biens de leur père. "

2. Beauvoir, de S. Le Deuxième Sexe

3. Etude de la Famille dans le monde en 2013 (étude internationale collective parrainée par les institutions catholiques) http://www.childtrends.org/wp-content/uploads/2013/05/Mapa_mundial_familia_2013.pdf

Publié le dimanche 24 Novembre 2013

Traduction COMAGUER

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23 décembre 2013 1 23 /12 /décembre /2013 13:59

EXTRAIT DU LIVRE DE ROBERT CHARVIN

 

"LES TIERS MONDES"

"DU SUD AUX SUDS"

"PANORAMA CRITIQUE"

 

 

éditions Publisud

 

 

 PISTES D'EXPLORATION

 

1. Les progrès technologiques et scientifiques

Une approche globale du Sud peut être guidée par un certain nombre d'observations pouvant être pertinentes pour une meilleure compréhension de ses réalités, en dépit de la grande diversité des cas à prendre en considération.

Ce qui différencie le xxr° siècle et les siècles passés, c'est que le sous-­développement, le mal développement et les inégalités entre les peuples ne sont plus le résultat d'une situation de pénurie globale. Les écarts de développement entre les peuples ont été longtemps minimes. Le creusement entre les économies est relativement récent: il est lié aux révolutions scientifiques et techniques qui ne se sont pas produites partout simultanément. Or, l'immense progrès technologique et scientifique permet de résoudre. La plupart des problèmes restés jusque là insolubles. C'est ainsi, par exemple, que le désert n'est pas foncièrement un obstacle à la production agricole, comme le prouvent certaines réalisations dans le sud libyen, à proximité de Sebbah. La plupart des grandes pandémies peuvent' disparaître grâce aux vaccins et aux thérapeutiques existantes. Bien évidemment il faut, pour que ces révolutions s'accomplissent, des moyens financiers. Ils existent: chaque année, selon les Nations Unies, 900.000 milliards de dollars sont échangés. La mise en œuvre d'une fiscalité internationale assurant une redistribution équitable entre les peuples du monde, en lieu et place d'une "aide" toujours insuffisante et toujours source de dépendance, relève de la seule volonté politique des États, en premier lieu des Grandes Puissances. Cette révolution financière a des fondements idéologiques universels. On peut rappeler que toutes les grandes religions et les grandes philosophies qui ont marqué l'histoire de la pensée humaine ont invoqué la nécessité d'un partage jamais réalisé. La compassion à l'échelle mondiale n'a aucune chance de naître et surtout d'être efficace après des millénaires de conflits visant à permettre à certains de piller les richesses des autres. Par contre, la fiscalisation des relations internationales (très modestement amorcée avec le "projet de taxe Tobin" et l'apparition de taxes sur les billets d'avions pratiquée par une quinzaine d'Etats) peut être, au contraire, un mode de gouvernance rationnel, source de moyens financiers correspondant aux besoins des peuples. Il en est de même avec l'émergence des nouvelles notions du droit international, telles celles de Bien Commun, de Patrimoine Commun de l'Humanité, de Services Publics transnationaux, qui sont susceptibles d'aménager un socialisme planétaire et une gouvernance sociale, rappelant à une autre échelle, les vertus de l'Etat-Providence. L'eau, les ressources énergétiques, les productions alimentaires, le savoir scientifique relèvent de l'intérêt général pour la société internationale. Mais il conviendrait de procéder à une révolutionnarisation profonde d'un droit international fabriqué de longue date et encore maîtrisé par les Grandes Puissances pour privilégier avant tout leurs intérêts.

Bien que ces transformations radicales relèvent aujourd'hui de l'utopie, il est utile de situer l'ensemble des problèmes du Sud dans ce contexte politique nouveau et non dans la continuité des raisonnements anciens faisant du sous-développement des uns la nécessaire conséquence du développement des autres. L'esclavage a cessé lorsqu'il est apparu plus efficace d'avoir des travailleurs "libres" ; les dominations exploiteuses peuvent cesser s'il apparaît qu'une redistribution équitable des moyens financiers et des ressources cogérées à l'échelle planétaire ou, dans une première phase au niveau régional, pourrait être source de paix et d'une plus grande efficacité pour le développement humain et durable. Ainsi, aucun fatalisme n'est de mise au xxr° siècle. Tous les problèmes et tous les enjeux sont de nature fondamentalement politique.

 

2. L'Histoire continue

En dépit de ceux qui annoncent la "fin de l'histoire" parce qu'ils ont peur de son évolution et souhaitent donc en arrêter le cours (c'est le cas des Etats-Unis et de l'Occident dans son ensemble), l'Histoire continue. Déjà se profilent de nouvelles Puissances, en Asie particulièrement, mais aussi en Amérique du Sud et en Afrique qui, après avoir subi le mépris, sont en mesure, dans un avenir proche, d'exercer un hégémonisme renouvelé.

Or, la compréhension des positions des peuples et des Etats du Sud exige qu'ils soient resitués dans le cadre d'une séquence historique longue. Il en est de même pour examiner les stratégies et les réactivités du Nord vis-à-vis du Sud. La nature des relations Nord-Sud et leurs mutations sont plus lisibles si l'Histoire prise en compte est celle du sud-pré-colonial, puis de la colonisation, ensuite de la "décolonisation" c'est-à-dire du processus (diversifié) d'accession à l'indépendance, enfin des échanges contemporains entre le Nord et le Sud, particulièrement dans les domaines économique et financier.

Au contraire, toute séquence historique courte déforme gravement la réalité et surtout ile sens de l'évolution. Peut-on saisir les mutations chinoises, y compris dans ses dimensions mentales, si l'on oublie qu'il y a à peine plus d'un siècle, les "Concessions" que s'étaient octroyés les Etats occidentaux sur le territoire chinois interdisaient la libre circulation des Chinois (avec, par exemple, la très symbolique fermeture des jardins "publics" interdits "aux Chinois et aux chiens" !). Marx à ce sujet s'interrogeaient de manière prémonitoire: "II s'agit de savoir si l'humanité peut accomplir sa destinée sans une révolution fondamentale dans l'état social de l'Asie ? (32).

On ne peut mesurer l'évolution des sociétés qu'en prenant toute la mesure de sa marche diachronique : chaque société marche à son rythme, avec des accélérations et des ralentissements, des avancées et des reculs, ce qui crée entre elles des rapports de forces inégaux. Chaque Empire, par exemple, connaît dans I ‘Histoire une montée en puissance un apogée et un déclin : les phénomènes hégémoniques sont donc provisoires". Il y a donc une succession de phénomènes de domination et d'exploitation de puissances différentes et la hiérarchie d'un moment n'a pas la signification d'une supériorité "naturelle" comme, par exemple, le racisme le prétend. "La colonisation n'est, au fond, qu'une forme primitive de la domination de race", comme l'affirme le politologue camerounais Achille Mbembe (34). L'histoire du racisme est en effet significative. Le racisme occidental ne se développe qu'avec la colonisation, lorsqu'il légitime l'esclavage et la surexploitation des populations colonisées. Il était "utile" pour les colonisateurs de se persuader que les colonisés n'étaient que des barbares primitifs, donc corvéables à merci. Montesquieu en ironisant dans l'Esprit des Lors sur l'esclavage, fournit explicitement-la clé : "Il est impossible que nous supposions que ces gens-là (les nègres esclaves) soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens" ! Il en est de même aujourd'hui pour le racisme qui se développe vis-à-vis des immigrés dans les pays occidentaux : les discriminations qu'ils subissent (salaires, logements, etc.) ne sont "tolérables" que s'ils sont perçus comme appartenant à des catégories variées de sous-hommes.

Adopter une séquence historique courte, comme cela se fait de plus en plus dans les pays occidentaux, conduit (35) à majorer un événement récent pour en faire la source historique du racisme : ainsi, le racisme nazi (question européo-européenne) relègue le racisme d'origine coloniale au second plan. Les sciences sociales en Occident n'ont d'ailleurs commencé à s'intéresser au racisme qu'avec la question noire aux Etats-Unis et la montée de l'antisémitisme dans l'Allemagne durant l'entre deux guerres, malgré près de quatre siècles de racisme (qui ne portait pas ce nom (36) à l'encontre des peuples du Sud, africains et amérindiens notamment. Bien que racisme et expansion coloniale soient indissociables, "l'Empire occidental ne s'est par nature pas perçu comme raciste à l'occasion de sa domination des peuples "indigènes" ". Il ne découvre le phénomène que lorsqu'il perturbe sa vie intérieure (37) !

 

Cette longue inconscience a été favorisée par la position de l'Église catholique qui a cautionné la colonisation européenne durant des siècles, en dépit d'un certain "effort" (dont il est difficile d'évaluer l'authenticité) de limitation des "excès". Le Pape Alexandre VI, en 1659, a procuré à l'Espagne et au Portugal le titre de missionnaire-conquérant dans les deux Amériques : officiellement, il s'agissait de convertir des païens et de procéder à une sorte d' "assimilation" c'est en vertu d'un "droit naturel" que la "domination des barbares" était légitime (38) .Le juriste F. de Vittoria (en 1532) avait résumé la position chrétienne qui a perduré jusqu'à nos jours a propos des peuples colonisés: "ces barbares sont notre prochain"' Dans cette formule, toute l'ambigüité de la religion occidentale dominante est résumée : l'Occident est confronté à des peuples "barbares", marqués de différentes incapacités en particulier de se gouverner, eux-mêmes), mais ces "infériorités" ne sauraient conduire à une maltraitance excessive. Le Pape Pie V en 1568' par exemple' rappelle qu’ "en prenant les armes contre les païens, il faut faire attention de ne pas faire la guerre en dehors des conditions requises, afin qu'elle soit juste": (...) "de ne pas agir cruellement" 'n (...)". Cette mise en garde, reprise par urbain VIII, par un siècle plus tard, présente quelques analogies avec le discours officiel des Etats occidentaux à propos du Sud qu'ii n'est pas illégitime de dominer, mais occasions dans le cadre d'une certaine compassion, dont témoignent à diverses (surtout lors catastrophes naturelles) l'Europe ou les Etats-Unis et leurs ONG

 

Quant à la "démocratie", du moins celle limitée au politique, comme elle l'est en Europe et aux Etats-Unis, I ‘Histoire rappelle qu'elle s'est édifiée très progressivement et selon un rythme très heurté : le droit de suffrage ,en France par exemple, apparu en 1791 sous une forme censitaire, a attendu 1848 pour sa généralisation, à l'exclusion des femmes et 1945 pour devenir universel, soit un processus de plus d'un siècle et demi, sans pour autant atteindre le stade d'une pleine liberté d’expression des votants (découpage et inégalités des circonscriptions' variation des modes de scrutin, inégalités' des moyens médiatiques et matériels des aux candidats, etc.) ! Les leçons de démocratie électorale données en permanence pays du Sud (avec par exemple, l'envoi d'observateurs quand il ne s'agit pas de militaires, comme pour la Côte d'Ivoire en 2011 ne sont guère fondées. Nul ne peut dire, en effet que les colonisateurs ont été des "professeurs de démocratie électorale alors que lorsque par exception il y avait élection dans les colonies, en Afrique par exemple, les truquages étaient la règle ! Ki-Zerbo constate que "la période coloniale' n'était pas une bonne préparation à ta démocratie"(40) La colonisation a été au contraire l'école de l'autoritarisme, de l'arbitraire et de la bureaucratie sans contrôle.

 

On peut aussi s'interroger sur le poids de la ruralité dans les pays du Sud, qui pèse par exemple sur les comportements des citadins qui ne sont que des ruraux très partiellement urbanisés et sur leur productivité limitée dans les activités industrielles.

L'absence d'une révolution technique et scientifique ou sa simple amorce ne peut pas ne pas jouer un rôle déterminant sur les comportements d'une population et nul ne sait quelle peut être (variable sans doute d'un peuple à un autre) la durée de I ‘apprentissage.

 

3. Les méthodes de I ‘hégémonie

Les États et les forces qui sont en position avantageuse et tirent profit des inégalités et des diverses pathologies du monde montent toutes les opérations concevables pour conserver leurs privilèges. Concernant la période historique la plus récente, les puissances colonialistes ont usé de toutes les méthodes pour maintenir leur hégémonie sur les colonisés. Se mêlant à I ‘opposition entre le capitalisme occidental et le communisme d'État (essentiellement soviétique), la question coloniale a été traitée comme un enjeu de la "guerre froide", bien qu'étant très antérieure à elle. Très souvent, les mouvements de libération nationale des pays colonisés n'avaient aucun rapport avec le communisme ; ils en étaient même parfois très éloignés, voire hostiles. Ils ont néanmoins été traités comme s'ils avaient constitué des forces auxiliaires de I'URSS visant à détruire I ‘Occident. La légitimité du refus de la décolonisation se fondait ainsi sur un anticommunisme sommaire, alors qu'au contraire, les partis communistes d'Outre Mer, trop subordonnés aux partis correspondant de la métropole, avaient adopté une ligne politique inadaptée et subissait le rejet du mouvement nationaliste.

 

Les Mouvements de Libération ont ainsi connu un important manque à gagner avec l'absence ou la perte de forces laïques, progressistes et en général cultivées et expérimentées, que les colonisateurs ont tenté d'éliminer prioritairement et systématiquement. Il en a été ainsi par exemple des militants de I ‘Union des Populations Camerounaises (UPC) par le colonisateur français, usant à la fois de la répression de masse et de l'assassinat individuel de ses dirigeants (par exemple, Ruben Um Nyobé ou Félix Moumié).

A l'occasion de l'indépendance, les puissances occidentales ont poussé et aidé les gouvernants des nouveaux États à éliminer les communistes locaux, lorsqu'il en restait. Le Président Lumumba qui avait été assassiné en 1960 par les alliés congolais de la Belgique et des États-Unis, l'a été au nom de la lutte contre le communisme. Ce fut le cas, par exemple encore en Indonésie, en 1965, où 500.000 communistes ou personnes jugées comme tels ont été massacrés.

Cette division des forces nationales, entretenue par les Etats occidentaux (41), a été une source d'affaiblissement dans la mesure notamment où, dans certains cas, des forces nationalistes sectaires et des mouvements religieux, parfois obscurantistes, ont pris le relais des mouvements communistes et progressistes.

Le mimétisme pro-occidental a aussi été souvent imposé. Lorsqu'un Etat a tenté de mettre en œuvre un système politique spécifique, préoccupé d' "authenticité" nationale, il a été vivement combattu, isolé et sanctionné.

La crainte permanente de l'Occident est la contamination d'une forme de régime politique totalement étranger au modèle occidental: ce type d'expérience, selon les puissances occidentales, "doit" absolument échouer. La démonstration doit être faite qu'aucune expérience hors des valeurs et des principes occidentaux n'a la possibilité de réussir le développement et de fonder la démocratie. La Révolution française, comme la Révolution russe d'octobre, ont subi les mêmes agressions de la part d'une Europe conservatrice n'acceptant ni la République française ni la République" des Soviets, avant même qu'elles aient eu le temps de commettre ce qui a pu leur être reproché ultérieurement. La révolution castriste entraîne pour Cuba de multiples mesures hostiles (tentatives américaines armées de renversement du régime et d'assassinat de Castro, blocus économique et financier, financement de l'opposition, etc.), sources de difficultés de toutes natures. L'influence de Cuba en Amérique du Sud en a subi les contrecoups.

Il en est de même pour la RPD de Corée qui, après avoir connu à peine née une guerre dévastatrice (1950-1953), puis un développement plus rapide que la Corée du Sud, jusqu'aux années 1960, subit un embargo d'un demi-siècle de la part des Etats-Unis et de leurs alliés (qui devient presque total après la disparition de l'URSS), à l'origine de graves difficultés menaçant jusqu'à l'existence même du système nord-coréen (42)

De même, le régime Jamahiriyen de la Libye a rencontré aussi, bien avant la guerre de 2011, l'hostilité des Etats occidentaux (bombardements de Tripoli en 1986, embargo durant 11 ans, etc.), qui se sont efforcés en l'isolant de l'éloigner des autres pays arabes, malgré des tentatives nombreuses d'union (avec le Maroc, la Syrie, etc.).

L’Irak, une fois devenu une puissance conséquente au Moyen Orient, a été considéré comme une menace par Israël et les intérêts pétroliers occidentaux. Après avoir été refoulé du Koweït et placé sous embargo, le pays a été détruit et occupé militairement par les forces américaines et alliées. Les observateurs considèrent que l'économie irakienne a ainsi reculé de cinquante ans.

Enfin, la République Islamique d'Iran se voit menacée en permanence par Israël et les Etats-Unis, sous des prétextes divers, notamment la recherche d'une arme nucléaire qu'Israël possède déjà depuis longtemps.

 

Dans tous les cas, les arguments avancés par les puissances occidentales sont les mêmes : les droits de I ‘homme n'y sont pas respectés, le régime est dictatorial voire totalitaire et constitue une menace pour la paix et les Etats tiers. Les dirigeants de ces pays contestataires, quelle que soit ta nature de leur protestation, nationaliste, marxiste, islamique, etc... sont l'objet systématique d'un dénigrement permettant de les discréditer dans l'opinion internationale. Il en a été ainsi pour des personnalités aussi différentes que Kim Il Sung, Castro, Kadhafi, Chavez, Mahmoud Ahmadinejad, etc...(43).

 

Plus récemment, ces Etats sont accusés d’armer le terrorisme international ou sont eux-mêmes traités d'Etats terroristes. Ils sont tous qualifiés d'Etats « voyous » et le monde occidental s'estime, à leur égard, fondé à ne pas s'embarrasser des règles de droit, notamment des principes de souveraineté et de non ingérence, au nom d'une "légitimité démocratique" que les puissances occidentales ont elles-mêmes définie.

 

En réalité, quels que soient les fautes et les crimes commis par ces Etats, ce ne sont pas les motifs authentiques expliquant les agressions qu'ils subissent. Elles s'expliquent par le fait qu'ils mettent en cause l'ordre établi et constituent un manque à gagner pour les intérêts économiques dominants puisqu'ils n'ouvrent pas leur marché et ne facilitent pas l'accès à leurs ressources naturelles. La question des droits de l'homme, si souvent avancée, ne joue qu'un rôle très second : c'est ainsi que la mise en œuvre de la charria est vivement reprochée à l'Iran, mais tolérée avec complaisance pour l'Arabie Saoudite.

La dictature militaire sud-coréenne qui a duré plusieurs décennies n'a pas empêché les Etats-Unis de la soutenir sans défaillance tandis que le régime nord-coréen a, depuis ses origines, été condamné au nom de la démocratie !

Ce qui est refusé aux peuples du Sud et à leurs dirigeants, c'est d'avoir un imaginaire politique qui les éloignerait du modèle occidental présenté comme universel et éternel, en dépit des indépendances.

 

Selon Aminata Traoré, ancien ministre de la culture du Mali, la responsabilité majeure des ex-puissances coloniales est précisément d'avoir "violé l'imaginaire" des peuples colonisés (44) ce qui les a conduit à "recopier", malgré des conditions profondément différentes, les institutions, et le droit des pays développés, les rendant en fait ineffectifs.

Toute expérience politique "hors norme" doit être éliminée.

Il y a pourtant exigence pour les pays du Sud de procéder à un inventaire de l ‘héritage local, afin d'y puiser les éléments pouvant. Faire synthèse avec les innovations contemporaines et construire ainsi une modernité spécifique

 

4. Ne compter que sur soi-même

Un constat déterminant est que les peuples du Sud ne peuvent compter que sur eux-mêmes. S'ils n'ont pas de ressources suscitant l'intérêt des puissances, ils n’intéressent personne. S'ils sont riches en matières premières, en ressources énergétiques, etç…ils sont l'objet de toutes les "attentions" et subissent des' interventions de toutes natures. Les relations internationales n'ont jamais été inspirées par la philanthropie. Au sein des "sociétés civiles, les partis et mouvements solidaires des peuples colonisés et aujourd'hui des Etats du Sud doivent surmonter l'ethnocentrisme occidental et l'indifférence dominante de leur environnement politique pour des peuples lointains et méconnus. Lorsqu'il s'agissait pour certains groupes politiques d’imposer ou de maintenir une politique coloniale, l'indifférence populaire et même parlementaire de la métropole était bienvenue. Lorsque l'enjeu est de soutenir les mouvements de libération nationale ou de combattre les intérêts du Nord qui ne profitent qu'aux firmes transnationales, il est difficile, bien que la mondialisation ait un impact global, de sensibiliser l'opinion occidentale et de surmonter les chauvinismes.

Durant la période de la "guerre froide", les Etats-Unis et I'URSS ont fait la démonstration que leurs ingérences n'étaient fondées ni sur la générosité américaine de type messianique, ni sur un internationalisme révolutionnaire authentique pour les Soviétiques.

La longue série d'interventions nord-américaines révèle que ce sont les seuls intérêts économiques et stratégiques des Etats-Unis qui sont à l'origine des interventions dans les États du Sud.

 

En 1953, le régime iranien du Dr Mossadegh est renversé avec L'assistance directe des Etats-Unis;-il en est de même en 1954 pour le régime guatémaltèque de Jacob Arbenz, élu président en 1951, coupable d'avoir exproprié une partie des terres de la compagnie bananière américaine United Fruit; en 1961, deux années seulement après la victoire de Castro, c'est Cuba qui est L'objet d'une agression armée organisée et financée par les Etats-Unis (y compris en utilisant les services de la mafia-selon le rapport de la Commission d'enquête Church du Congrès). En 1964 le renversement du président brésilien Goulart donne le signal d'une série de coups d'état militaires et d'élimination des opposants dans toute l'Amérique du Sud, expression de la stratégie des Etats-Unis qui coordonnent l'ensemble des activités antipopulaires en Amérique du Sud.

En Afrique, les interventions américaines sont moins nombreuses (la France y est présente), mais toutes aussi radicales. Les Etats-Unis dans l'ancienne colonie-belge du Congo, fournissent un soutien aérien décisif aux forces du futur dictateur Mobutu contre les maquis lumumbistes. Les avions appartiennent à "Air America", propriété de la CIA.

 

Malgré diverses pressions, les Etats-Unis ne peuvent empêcher l'élection au Chili de S. Allende. L'élimination d'Allende en 1973 est l'œuvre directe des services spéciaux nord-américains.

L'ensemble des services secrets sud-américains et nord-américains sont coordonnés pour combattre par tous les moyens, y compris l'assassinat, les opposants aux dictatures militaires du continent américain. Les Etats-Unis dans les années 1980 inventent ainsi "les guerres de basse intensité", menées par exemple contre le Nicaragua sandiniste. Le Honduras est transformé en plate-forme militaire d'agression, Des liens sont tissés avec la mafia colombienne.

Aux multiples opérations clandestines et indirectes s'ajoutent évidemment les interventions massives contre le Vietnam, l'Irak ou I ‘Afghanistan (45) I'URSS, avec des moyens plus restreints qui ont nécessairement limité ses capacités d'interventions, n'a pas longtemps joué le rôle qu'il avait proclamé être le sien aux lendemains de la révolution (46)

Néanmoins, sa seule existence au sein d'un monde devenu bipolaire, après la Seconde Guerre mondiale, a permis à de nombreux mouvements de Libération nationale de bénéficier d'appuis logistiques et de soutiens politiques, notamment aux Nations Unies (47)

Dans une première phase, précédant la Seconde Guerre mondiale, les forces anticolonialistes ont reçu une aide sans précédent d'un Etat, resté longtemps le seul à manifester des positions de principe favorables aux peuples colonisés et une solidarité effective.

Dès le 26 octobre 1917, le "Décret sur la paix", premier document international du nouvel Etat, condamne le colonialisme. La Déclaration des droits des peuples de Russie du 2 novembre l9l7 reconnaît à tous les peuples de l'ex-Empire "égalité et souveraineté", "droit à la libre disposition", jusque et y compris la séparation et la formation d'Etats indépendants. Cette position est condamnée par les Etats occidentaux qui y voient un exemple dangereux et qui entendent ne pas porter atteinte à I ‘Empire tsariste. (48)

Le gouvernement soviétique, dans son message aux "travailleurs musulmans de Russie et d'Orient", du 20 novembre 1917, reconnaît solennellement le droit des peuples d'Orient à leur libre disposition. C'est la première fois qu'un État européen dénonce ainsi le fait colonial et les rapports basés sur des traités inégaux (comme par exemple, les traités entre Etats européens et la Chine). C'est l'Afghanistan, indépendant depuis 1919, qui est le premier Etat du Sud avec lequel la Russie soviétique établit des relations diplomatiques. Une note ministérielle soviétique du l4 janvier l918 annule les dettes de l’Iran.

La lll° Internationale communiste, sous hégémonie soviétique, adopte le principe du droit à l'autodétermination, (49) non par philanthropie ou en vertu d'une conception idéologique de la justice, mais parce que, comme l'avait noté Engels (50) :"Ne peut être libre un peuple qui en opprime un autre". Révolution et libération des peuples opprimés constituent pour le léninisme les éléments complémentaires d'un combat unique.

Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, malgré l'appui fourni à la Corée du Nord (1951-1953) puis au Vietnam, la question du maintien de la paix et de la coexistence pacifique est devenue pour l'Etat soviétique prioritaire. Cette priorité a conduit à une diplomatie plus fluctuante, où les intérêts russes l'ont souvent emporté sur les principes internationalistes.

La coopération avec les nouveaux Etats indépendants, en Afrique par exemple, n'était pas toujours ajustée aux besoins réels des peuples africains : le "modèle" soviétique devait être reproduit par les forces nationales qui étaient proclamées très artificiellement " marxistes-léninistes".

Le lourd contentieux survenant entre la Chine et I'URSS et les conflits (y compris armés) qui en résultent (problème des frontières sino-soviétiques, intervention vietnamienne contre le Kampuchéa, affrontements armés entre la Chine et le Vietnam) contribuent à faire reculer l'influence soviétique dans les pays du Sud.

A cette perte de prestige s'ajoute une assistance aux Etats du Sud dont les limites sont les faibles moyens de l'économie russe et surtout les intérêts nationaux de l'Etat soviétique. En 1986, par exemple, lorsque l'aviation anglo-américaine a bombardé la Libye, les Soviétiques, prévenus de l'attaque, ont préféré quitter les ports libyens pour éviter d'être mêlés au conflit.

 

Lorsque l'armée soviétique, en vertu du traité d'amitié signé en 1978, intervient en Afghanistan, participant à une guerre qui dure dix ans, elle s'ingère dans des conflits extrêmement complexes et internes au peuple afghân, à l'origine de plus d'un million de victimes. La raison de l'intervention aurait été d'éviter celle des Etats-Unis qui semble avoir été programmée (51) mais la présence soviétique n'a été pour le peuple afghan qu'une ingérence et une occupation étrangère nocive. L'islamisme radical en a été fortement stimulé.

La leçon évidente qui peut être tirée de cette période bipolaire durant laquelle les peuples et les Etats étaient mêlés sans le vouloir à un conflit qui n'était pas le leur, c'est qu'ils ne peuvent compter que sur leurs propres forces. C'est le sens du discours de M. Kadhafi au Sommet Afrique-Amérique du Sud au Venezuela, le27 septembre 2009 : "Aucune puissance n'est prête à tendre la main" aux peuples du sud. Il est temps pour eux de construire leur propre puissance"(52). Cette construction passe par une alliance économique et politique Sud-Sud, source éventuelle d'une démocratisation des Nations Unies et des institutions économiques et financières internationales, revendiquée avec de plus en plus de force.

Alors que la souveraineté est mise à mal dans le cadre du processus de mondialisation, elle est, soit au stade national soit au niveau régional de pleine actualité pour les Etats du Sud (53).

 

 

5. La pauvreté de masse

Une source de complexité des relations Nord-Sud consiste à ce que la richesse et la pauvreté sont devenues des réalités transnationales. Si la pauvreté de masse se trouve concentrée dans les pays du Sud, une pauvreté croissante se développe dans les pays du Nord. Les pauvretés sont diverses : celles qui affectent les zones urbaines, par exemple, ne sont pas identiques aux carences qui atteignent les populations rurales. La pauvreté au Nord n'est pas de même nature que celle du Sud. Loin de constituer des forces coordonnées, les organisations (politiques, religieuses, syndicales, associatives) les plus proches des pauvres du Sud et du Nord expriment des points de vue très éloignés (exemple, les paysans sans terre d'Amérique du Sud et les paysans français du Larzac !), lorsqu'elles ne sont pas les porte-paroles des travailleurs en concurrence les uns avec les autres en raison du coût différent qu'ils représentent pour les firmes. Les opérations de diversion et de manipulation ne sont donc pas rares sur ces populations démunies aisément conduites vers des intégrismes religieux obscurantistes ou vers des nationalismes racistes. Les firmes transnationales qui sont en mesure d'utiliser les différences de coût de la main d'æuvre et les pouvoirs publics qui ont les moyens d'instrumentalise le religieux et le rejet traditionnel de l'étranger édifient des barrières entre les peuples du Nord et du Sud permettant en fait le maintien des structures sociales inégales et concurrentes. Malgré l'existence du mouvement altermondialiste, il n'y a pas d'internationale des Pauvres.

A l'inverse, en dépit des rivalités aléatoires, les classes privilégiées font alliance par-delà les frontières pour se soutenir réciproquement- Cette homogénéisation des "élites" à l'échelle planétaire résulte d'un mode de vie et de consommation standardisé, d'une éducation effectuée dans les mêmes écoles et universités, et surtout de la participation mêlée aux mêmes groupes économiques et financiers. S'est ainsi constituée une véritable classe dominante transnationale animée par les mêmes intérêts et dotés des mêmes valeurs. L'argent du Sud placé dans les banques du Nord représente un volume plus important que "l'aide" fournie officiellement par le Nord au Sud ! Le taux de profit y est plus élevé que ne peuvent l'être les investissements dans le Sud !

 

Les gouvernants des pays du Sud ont ainsi plus d'obligation vis-à-vis des Etats et des firmes du Nord que vis-à-vis de leur propre peuple. Quant aux gouvernants du Nord, ils soutiennent- y compris par des interventions militaires –les gouvernants du Sud, aussi longtemps qu'ils leurs paraissent utiles, ce qui conduit les dirigeants du Sud à diaboliser leurs opposants pour en faire des ennemis de l'ordre international. Ainsi, l'opposition Nord-Sud n'est qu'une facette relativement seconde de la réalité internationale bien qu'elle se développe et se renouvelle avec l'apparition des puissances émergentes comme la Chine. Les vrais conflits sont transnationaux à quelques exceptions près. L’espace dans lequel peut se réaliser une politique de développement est incertain. La réalité est que les mondialisateurs sont peu représentatifs et les principaux, sinon les seuls, bénéficiaires de la mondialisation, tandis que les mondialisés sont les peuples, mal représentés, qui ne réceptionnent que les miettes d'une mondialisation décidée et gérée sans eux.

 

6- La question de l'Etat

La question de l'Etat est, pour certains analystes du Tiers Monde, décisive. L'accession à l'indépendance s'est souvent faite dans des conditions d'extrême faiblesse des pouvoirs publics : le degré de compétence gestionnaire des premières équipes politiques était inévitablement insuffisant. La Belgique coloniale, par exemple,'n'avait assuré la formation que de quelques dizaines de cadres pour l’ensemble du Congo-Léopoldville. La longue guerre d'Algérie avait éliminé de très nombreux militants capables de diriger leur pays. La forte ruralité des populations et l’absence de l’expérience que procure la révolution industrielle et la révolution scientifique et technique, rend la gouvernabilité très difficile à exercer en matière de gestion économique et de bataille pour la productivité. Une adaptation rapide à la vie urbaine et industrielle est impossible, ce qui place les jeunes économies nationales dans une situation très difficile vis-à-vis de la concurrence des vieux pays industriels.

On constate, en prenant pour exemple les processus national comme celui de l’ltalie, par exemple, que la mise en relation d’un espace développé et d’un espace sous-développé favorise essentiellement la zone la plus avancée : l’unité italienne s'est faite au détriment du Sud dont le sous-développement s'est aggravé.

 

La mise en relation du Nord et du Sud à l'époque coloniale jusqu'à aujourd'hui a produit, à quelques exceptions près, le même phénomène : le surdéveloppement de quelques secteurs limités des capitales ou de certains quartiers dans ces villes, dans les pays en développement ne représente qu'un dysfonctionnement supplémentaire à l'inégal développement global.

La question est donc de construire un Etat efficace et compétent pou mener les politiques publiques qui s'imposent sans en avoir réellement les moyens ! Inévitablement, l'incompétence relative des gouvernants conduit à l'autoritarisme. Les erreurs des gouvernants sont compensées par la répression des gouvernés. L'extrême rareté des cadres favorise les rivalités de personnes et fait de l'élimination physique une solution efficace, ce qui n'est pas le cas dans les pays développés où les "remplaçants" sont nombreux.

Néanmoins, l'Etat, comme le démontre la Chine, demeure le seul outil incarnant (plus ou moins mal) l'intérêt général et qui puisse assurer la protection d'une nation parfois embryonnaire (en raison de l'ethnisme, du régionalisme, etc...) face aux grandes puissances.

Cet Etat est trop souvent édifié sur le modèle des Etats occidentaux: tes Constitutions de l'Afrique francophone, par exemple, sont pratiquement la copie des institutions de l'Etat français (ce sont souvent, d'ailleurs, des chargés de mission français qui ont rédigé ces Constitutions africaines (54). Ces Constitutions sont artificielles et ne correspondent ni à l’héritage culturel ni aux besoins des Etats nouveaux. Elles restent logiquement sans effectivité. Rares sont les Etats du Sud qui expérimentent des systèmes s'efforçant d'utiliser des formes de gouvernance issues de la tradition locale mais aménagées conformément aux besoins du temps. Ces expériences sont en général violemment dénigrées par l'Occident, comme si les multiples cultures du Sud n'étaient pas en mesure d'inventer de nouvelles formes politiques. Leurs échecs relatifs (les "Conférences Nationales", en Afrique, par exemple, à l'exception de celle du Bénin ou la tentative de démocratie directe en Libye) ne favorisent pas leur développement, en oubliant que les Etats européens ont mis des siècles à se construire et que les diverses constitutions se sont succédées à un rythme accéléré, comme en France par exemple depuis l'Ancien Régime.

Les Etats du Sud sont en général de nature autoritaire : la démocratie à l'occidentale n'y existe pratiquement nulle part. Certains médias osent qualifier l'lnde de "la plus grande démocratie du monde", alors que le système des castes éloigne .fortement la société civile indienne de toute pratique démocratique. Lorsqu'il s'agit d'Etats amis de l'Occident, celui-ci se satisfait, avec complaisance, de l'existence de procédures électorales douteuses dans le pays pour en faire une "démocratie", encore faut-il que les résultats électoraux soient jugés acceptables. Pour les autres Etats, les élections sont considérées comme des fictions et les insuffisances démocratiques systématiquement condamnées.

 

En réalité, on ne sait pas clairement quelle est la forme politique la plus efficace pour une sortie du sous-développement. Dans un premier temps (les années soixante-dix), il était admis qu'un régime « fort » s'imposait : la concentration des efforts pour le développement exigeait un pouvoir politique lui-même concentré. Dans un second temps, la démocratie pluraliste est communément considérée comme la meilleure structure politique pour assurer un développement équilibré, les controverses politiques permettant d'ajuster la production aux besoins. L'incertitude cependant demeure: la nature du régime politique et l'efficacité économique relèvent peut-être de catégories différentes. La puissance d'un Etat interventionniste en Chine comme en Corée du Sud semble permettre une croissance exceptionnelle. Inversement, l'absence d'Etat est source d'une impuissance totale en matière de développement comme en atteste l'expérience palestinienne. Quant aux grand nombre d'Etats faibles, ils assurent essentiellement la survie et la promotion du personnel dirigeant constituant une bourgeoisie d'Etat. Cette faiblesse est parfaitement compatible avec la mondialisation telle que la veulent les firmes transnationales dont les contrats peuvent ainsi leur être particulièrement favorables, sans opposition réelle.

 

Ainsi, l'Etat du Sud a, par malchance historique, essayé de se construire durant la période historique de la mondialisation qui tend à démanteler toute structure collective et étatique, au Nord comme au Sud pour le plus grand profit des pouvoirs privés. Au Nord, c'est l'Etat-social qui est remis en cause, au Sud, c'est l'Etat lui-même encore embryonnaire (55)

 

La réponse qui s'impose aux Etats du Sud est, outre les progrès qualitatifs de leur personnel, le regroupement régional ct même interrégional. C'est le cas par exemple de l'Union Africaine qui, sous l'impulsion de la Libye et de ses moyens financiers, tente de constituer une structure réellement opérationnelle. C'est aussi le cas de I ‘Alba, en Amérique Centrale et du Sud, où le Venezuela joue un rôle déterminant, ce qui explique les critiques occidentales véhémentes contre le régime de H. Chavez. Ces deux organisations tentent de surcroît d'établir entre elles des ponts pour une collaboration de plus en plus poussée. La coopération Sud-Sud peut en effet prendre le relais de la pseudo-coopération Nord-Sud qui n'a pas permis en un demi-siècle le décollage du plus grand nombre.

 

7. La structure de la société internationale

La structure de la société internationale ne cesse d'évoluer profondément. Du XVIe au XXe" siècle, les puissances occidentales ont exercé une hégémonie absolue exclusivement troublée par les rivalités entre Etats coloniaux. Les peuples du Sud ne comptaient pour rien, ils étaient objets d'une Histoire dont les fluctuations

résultaient de recompositions périodiques au gré de l'évolution des rapports de forces entre puissances coloniales.

C'est ainsi que le Moyen Orient, par exemple, après l'élimination de l'Empire Ottoman à partir de 1918, a été tout entier soumis aux décisions des compagnies pétrolières européennes (principalement britanniques), assistées des Etats européens qui assuraient politiquement et militairement le contrôle des peuples

de la région. De nombreux conflits ultérieurs ont été principalement le fruit. Des divisions artificiellement créées par tes occupants occidentaux (par exemple, le conflit Irak-Koweït (56)

 

A cette phase unipolaire, qui s’est achevée en 1945, a succédé une société internationale essentiellement bipolaire opposant I'URSS et les Etats-Unis et leurs alliés respectifs. Le mouvement de libération nationale et celui des Non Alignés ont constitué une troisième force qui a subi les contrecoups du bipolarisme sans pouvoir peser sur lui.

L'effondrement de I'URSS et des pays socialistes d'Europe de l'Est a donné l'illusion d'un nouvel ordre international sous hégémonie définitive et exclusive des Etats-Unis et de leurs alliés européens. Débarrassés de leur adversaire principal, les Etats-Unis ont cru pouvoir mettre en œuvre une politique ne tenant plus compte des limites imposées par les Nations Unies, le droit international et les valeurs légitimatrices qu'il s'agissait d'opposer au communisme aussi longtemps qu'il avait une existence. C'est ainsi, par exemple, que "l'humanitaire" invoqué pour justifier l'ingérence a pu s'associer au militaire dans le cadre de stratégies unilatérales servant les intérêts américains. La notion de "double norme" est communément admise dans le personnel politique et dans l'intelligentsia étasunienne : "Nous devons revenir, dans nos rapports avec le tiers monde, aux méthodes les plus rudes d'une époque antérieure, la force, l'attaque préventive, la ruse, tout ce qui peut servir". "Entre nous, nous observons la loi mais quand nous opérons dans la jungle, nous devons ainsi recourir aux lois de la jungle" (57)

 

L'Amérique s'autoproclame "responsable" de la résolution des problèmes mondiaux: elle doit donc être "forte, voire toute puissante" dans l'intérêt du monde et de l'Europe qui s'est affaiblie et a perdu une bonne part de sa capacité de résistance. Quant à I'ONU, elle était utilement instrumentalisée, comme le soulignait Dean Acheson quand il s'agissait de s'opposer au bloc communiste : elle n'est aujourd’hui qu'une aide - aléatoire - à la diplomatie américaine sinon elle n'est plus rien. Le multilatéralisme onusien ne peut que freiner la nécessaire domination des Etats-Unis. L'unilatéralisme doit donc régner. C'est I'OTAN, sous direction américaine, qui prend le relais des Nations Unies. Malgré la disparition de la puissance militaire soviétique, les Etats-Unis n'ont cessé d'augmenter massivement leurs dépenses militaires, soit près du triple des dépenses européennes afin de soutenir des conflits pourtant qualifiés "d'asymétriques" contre certaines forces du Sud et les quelques « Etats-Voyous" pourtant infiniment plus faibles. Dès la fin de I'URSS, les Etats-Unis ont en effet multiplié leurs interventions militaires (Panama, La Grenade, Guerre du Golfe, Somalie, Haïti, Bosnie, Kosovo, Irak, etc"')' La France, qui n'a jamais pu "s'auto-décoloniser", n'a pas cessé de faire de même, à une échelle plus modeste, dans ses anciennes colonies d'Afrique et en Libye, par des voies diverses (de la pression politique jusqu'aux opérations militaires, en passant par le montage de rebellions et de complots (58)

Les Etats du Sud sont donc confrontés à une contradiction majeure : leur souveraineté exige de faire front aux Etats-Unis et aux puissances européennes ex coloniales; mais cette tension est peu compatible avec une démocratisation interne, c'est-à-dire avec une authentique souveraineté populaire. La Corée du Nord, par exemple, a mis en œuvre la théorie de Songun, qui conduit à mobiliser toute la société et à la militariser dans un esprit d'indépendance face aux Etats-Unis et au Japon, mais cette affirmation ne peut qu'handicaper le processus de démocratisation interne.

 

Dans différents Etats sud-américains "rebelles" (Nicaragua, Venezuela, Équateur, etc...), l'ambassade des Etats-Unis est le véritable leader d'une opposition qui ne manque pas d'appuis financiers et médiatiques (59) extérieurs. Ces financements permettent aux plus puissants d'avoir des collaborateurs actifs et des agents à tous les niveaux des Etats et des sociétés visés. Face à cette pénétration généralisée de l'adversaire, source d'une décomposition de toute la société, seule ta répression autoritaire peut avoir quelque efficacité. Ce n'est pas toujours te cas, dans le Nicaragua sandiniste, par exemple, où le Président Ortega a été régulièrement élu face à l'opposition pro-américaine, malgré la quasi-totalité des médias restée privée (dont le premier quotidien du pays "la Prensa" est d'une vive hostilité au régime).Les campagnes électorales antisandinistes sont largement financées par les Etats-Unis. L'économie restée presque totalement privatisée (lors du retour de la droite précédant sa défaite élector.ale ultérieure) favorise une bourgeoisie d'affaires globalement hostile à D. Ortega et soutenue par la hiérarchie catholique. Le Nicaragua étant isolé, sans le soutien du Venezuela, le régime ne pourrait résister aux pressions pro-occidentales (60) et aux différentes ingérences américaines.

En Afrique, l'absence de moyens financiers conduit à accepter la présence d'investissements privés étrangers dont seules les "élites" locales bénéficient et qui parviennent à utiliser les antagonismes ethniques, religieux et à détourner ainsi de la lutte sociale des groupes humains entiers.

Il est donc paradoxal d'observer un Occident fondant sa légitimité sur les droits de l'homme civils et politiques et la démocratie politique, alors qu'il crée toutes les conditions pour qu'ils ne puissent pas se développer.

Par contre, lorsqu'il y a tentative de mise en æuvre d'une démocratie sociale assurant une certaine effectivité des droits économiques et sociaux (par exemple au Burkina Faso de T. Sankara ou au Venezuela de H. Chavez), qui vont à l'encontre des investissements et des intérêts des firmes étrangères, le système en cause est violemment attaqué et même parfois soumis à un embargo visant à l'asphyxier.

 

8. Les idéologies et les croyances

Le rôle des idéologies et des croyances dans les relations Nord-Sud ainsi que dans le fonctionnement des sociétés du Sud est à souligner.

Au Nord, l'image du Sud est très largement délibérément travestie. Une comparaison peut être faite, en France avec 'histoire du régime de Vichy, d'abord passée sous silence, puis aménagée par différentes "techniques"(6l) qu'admettent complaisamment certains historiens. C'est le cas du travail résultant de commandes "extérieures" financées par des fondations, des entreprises, dont l'intérêt est de réorienter la nature et le sens des événements marquants et de fabriquer une histoire "officielle". C'est ainsi qu'une prolifération de travaux au nom du "devoir de mémoire" s'est manifestée à sens unique créant une hiérarchie des crimes de masse et en négligeant, par exemple, les massacres subis par les peuples du Sud durant l'époque coloniale ou dans la phase de libération nationale (62) au profit des massacres euro-européens.

 

Au Sud, l'attitude des gouvernants légitime les difficultés de gestion ou les privilèges de certains dirigeants par l'entretien d'une mémoire favorable aux militants du mouvement de libération, à ses premiers leaders (souvent fondateurs de la Nation), aux martyrs et aux sacrifices consentis pour l'accès à l'indépendance. Par exemple,-c'est le Président Mobutu, lui-même responsable (avec la Belgique) de la mort de p. Lumumba, qui a organisé le culte populaire de sa victime. L'Occident demeure ainsi, quels que soient les compromis officiels conclus avec lui, le seul responsable des difficultés rencontrées par le pays du Sud, y compris un demi-siècle pour l'accession à l'indépendance. N'est pas rare un double discours, l'un à destination "des puissances occidentales (dont l'ex-métropole coloniale) de nature conciliant(e), l'autre à destination du peuple accusant les Occidentaux et exonérant de leur responsabilité les dirigeants du Sud.

Si la controverse idéologique est donc parfois confuse, elle est néanmoins d'une importance croissante.

 

Pour les puissances occidentales, relayées par les multiples "think tanks", fondations, bourses d'études, clubs, médias, etc...(63), I ‘objectif est, vis-à-vis de leurs propres populations et vis-à-vis du Sud, d'occidentaliser le monde tout entier. Au-delà des institutions de gestion et de contrôle (OMS, FMl, Banque Mondiale, OTAN, etc...), il s'agit d'accompagner idéologiquement avec volonté de persuasion le libéralisme en vigueur. Les élites et une partie de la population du Sud sont ainsi sensibilisées à un capitalisme imaginaire (très éloigné du capitalisme réel) composé de différents mythes (le "marché autorégulateur", la "liberté" de la concurrence, le «libre" échange, la croissance inséparable de la privatisation, la démocratie indissociable de l'économie de marché, etc...) présentés, comme le note Susan George (64), comme une véritable religion, périodiquement rajeunie par quelques thèmes nouveaux et par le discrédit jeté sur "le politique" au profit du "technique" aisément accueilli au Sud en raison de la mal-gouvernance chronique (65).

 

Le Sud est ainsi infantilisé, sans confiance en lui-même, déconnecté de sa tradition et pour certaines de ses composantes fasciné par une culture et un mode de vie qui lui sont étrangères.

Les pays du Sud manifestent ainsi facilement leur hostilité à l'égard d'autres pays du Sud, tout autant sinon plus qu'à l'encontre du Nord. Les diversités héritées du passé (Islam, confucianisme, négritude, etc...), au lieu de constituer des fondements d'une renaissance plurielle, sont instrumentalisées pour servir des pouvoirs autocratiques et retardent le nécessaire nouvel universalisme basé sur la coopération Sud-Sud. (66)

Ainsi, par exemple, en rupture avec un Islam des Lumières, un Islam politique est mis au service de certaines forces politiques dont certaines sont radicalement antioccidentales (en Iran), tandis que d'autres s'accommodent d'une étroite alliance avec les Etats-Unis (en Arabie Saoudite).Il convient donc de s'interroger sur la part que le Sud peut réserver à son héritage, qu'il n'a ni à renier ni à sacraliser, et la part de valeurs universelles contemporaines à créer en marchant, comme tentent de le faire, par exemple, les États d'Amérique du Sud et d'Amérique Centrale au sein de l'Alba où se conjuguent la culture amérindienne, l'affirmation de la souveraineté vis-à-vis de l'Amérique du Nord et la recherche de techniques politiques inédites

 

 

9. La violence

La violence s'exprime de tous temps et partout par la recherche de la dominance (67), €tr vue le plus souvent d'une appropriation jugée essentielle. La dominance établie, le dominant institutionnalise sa domination et condamne donc la violence, celle des dominés qui, constituant une résistance, demeure. Il peut se faire aussi que les dominants dont la dominance est menacée par une dissolution partielle du lien social sur lequel ils s'appuient, canalise la violence contre un bouc émissaire (dans l'ordre interne ou dans l'ordre international) afin de rétablir la cohésion, base de la domination.

On fait le constat que la violence dans les pays développés a diminué, alors qu’elle se manifeste dans les pays du Sud comme dans les relations entre Etats.

 

Cette pacification relative au sein des pays développés, dans un cadre capitaliste, est l; résultat d'une contradiction résolue pour une part dans l'inconscient des individus. Le système produit de multiples aliénations, mais l'individu ne réalise pas clairement qu'il fonctionne pour une seule finalité, la productivité e n marchandises et profits. La raison en est que cet individu dominé bénéficie aussi de différents facteurs de sécurisation (les lois sociales conquises mais permises par le niveau de développement) et de satisfaction (la consommation ou tout au moins le spectacle fascinant d'une consommation possible)

 

Dans les pays sous-développés, ou très inégalement développés, la violence est une réponse plus ou moins ajustée des dominés contre les dominants ou leur représentants symboliques (par exemple, les -"Blancs").La révolution est rare et souvent perdante, en raison' de la présence des "forces de l'ordre" aux côtés des dominants ou de l’intervention des forces extérieures alliées des dominants. Le "terrorisme* et les actes ponctuels de résistance sont, selon la formule de H. Laborit'" le langage des dominés (sous quelque drapeau que ce soit) qui ne parviennent pas à se faire entendre et qui focalisent contre quelques uns (pas toujours les vrais responsables,) la violence contre le système de dominance.

Contre les Etats, le recours à la force armée n'est que la violence exercée par les Etats se considérant les plus puissants contre les plus faibles qu'ils agressent au nom d'une « juste », cause. C’est le christianisme qui a longtemps théorisé la « guerre juste » au bénéfice des Etats européens, par exemple, contre l'Empire ottoman qui perturbait leur hégémonie. Depuis l'interdiction du recours à la force armée (sauf cas de légitime défense) par la Charte des Nations Unies, sans que cette disposition ait été adoptée à l'initiative des pays du Sud (dont la plupart n'avaient pas encore le statut d'Etais souverains), les grandes Puissances, gênées par le principe de non-ingérence, ont inventé de nouvelles 'Justes" causes: la lutte contre la nébuleuse terroriste, contre la détention d'armes de destruction massive ou à l’encontre de la violation des droits de l'homme, etc... La stratégie américaine de sécurité nationale, proclamée en2002, invoque la notion de guerre "préventive"' la légitime défense étant retournée en son contraire dans le cas, par exemple, de l'agression contre l'Irak.

 

Pour les Puissances occidentales,''l’illégalité peut devenir à un moment donné de la légalité, ou vice-versa", écrit le juriste américain Michaël J. Glennon' (68) conseiller juridique au Sénat. Elles prétendent n'avoir de compte à rendre qu'à leurs pays, comme le relève P. Hassner sans remettre en cause cette position, rappelant la conception de B. Kouchner pour qui l' « humanitaire d'Etat » est, avec le droit d’ingérence, une étape vers un ordre international favorable aux "victimes des tyrannies" (69)

 

Ainsi le Sud, non seulement se voit imposer un droit international qu'il n'a pas élaboré lui-même, mais il doit subir les interprétations les plus défavorables à sa souveraineté.

La violence internationale contre le Sud est donc la règle, sans que les instances onusiennes compétentes et opératoires, comme le Conseil de Sécurité, puissent servir de contre feux (70), au contraire. Le Vietnam et l'Irak sont deux exemples parmi bien d'autres de pays du Sud, victimes de cette violence incontrôlée, mais légitimée en Occident. Par contre lorsque le Vietnam est intervenu au Cambodge contre les Khmers Rouges, il a été accusé d'agression, alors même qu'il faisait cesser un génocide ultérieurement reconnu par tous.

La violence du Nord est souvent considérée comme plus admissible, notamment dans l'opinion occidentale, que celle du Sud. C'est que les meurtres de masse commis par les dominants sont rapidement "oubliés" parce que la violence pratiquée est institutionnalisée et médiatisée à l'échelle planétaire de manière positive. Au contraire, les meurtres souvent très parcellaires provoqués, par exemple par le terrorisme provoquent une réaction bien pensante fabriquée par les dominants qui en entretiennent la mémoire (71).

De plus, la violence des armées du Nord, dont les moyens relèvent de la plus haute technologie, s'identifie à la guerre "propre", à l'exception des dommages dits "collatéraux" déclarés "inévitables". Celle que les forces du Sud pratiquent est par manque d'armements sophistiqués, plus primitive et a une apparence plus barbare. Dans les guerres civiles du Sud, les affrontements ne se dissocient pas du pillage le plus archaïque l'extrême pauvreté conduit à « se payer" sur l’ennemi, comme ce fut longtemps le cas en Europe avant la révolution industrielle.

Les Grandes Puissances, qui ont de facto rétabli la guerre prétendument « Juste », ont développé en contrepartie le "jus in bello", en s'auto-attribuant une légitimité supplémentaire : la violence doit être "civilisée", ce qui facilite la condamnation des violences du Sud (72)

 

La colonisation, la décolonisation et les ingérences des puissances occidentales ont enseigné au Sud la violence qu'aujourd'hui on lui reproche lorsqu'on ne va pas jusqu'à la fonder sur une "prédisposition naturelle" ! La longue période de dominance coloniale et raciste se prolonge ainsi par une accusation elle même raciste, de barbarie "propre" aux peuples du Sud

La doctrine de la "non violence" et de la désobéissance civique de Gandhi et de son Parti du Congrès, en Inde, ne pouvait être qu'exceptionnelle. La colonisation britannique y a d'ailleurs répondu par la répression de l9l9 jusqu'à l'indépendance de 1947 (73) .Sans qu'il soit fondé de réduire la violence au seul sous-développement économique, social et culturel, il est certain que ces facteurs sont à l'origine de la violence généralisée constatée dans toutes les zones de sous-développement profond (74)

Certains groupes humains sont, notamment dans une situation sans issue les poussant logiquement à toutes les extrémités: ce fut longtemps le cas des Amérindiens qui étaient jusqu'à l'avènement récent des gouvernements Chavez, Moralès, etc...-en Amérique du Sud, des exilés dans leur propre pays ; c'est aussi le cas du peuple palestinien négligé par ses alliés du monde arabe et dominé outrageusement par Israël; c'est le cas de nombreuses communautés minoritaires auxquelles les dominants refusent tout statut protecteur, par exemple les Tamouls au Sri Lanka ou les Biharis d'origine pakistanaise vivants au Bangladesh, rejetés à la fois par les Etats pakistanais et bengali, etc'

 

Seul un développement humain et social conséquent, source d'une plus grande égalité entre les peuples et les Etats pourrait ouvrir un avenir à des milliards d'êtres humains privés de moyens de survie élémentaires et permettre une diminution de la violence endémique que la pauvreté et l'humiliation génèrent.

 

10. La Chine

La République Populaire de Chine, qui s'est dotée du second P.I.B de l'économie mondiale, est devenue un facteur déterminant de l'avenir des pays du Sud et de leurs relations avec le Nord. La nouvelle puissance chinoise est l'expression à la fois symbolique et concrète du basculement du monde en cours. Objet de l'histoire au XIXe" siècle, victime de la domination et de l'exploitation des Etats européen s qui la considéraient comme un "eldorado commercial", conquise et démantelée parle Japon durant l'entre-deux guerres, la Chine a subi toutes les humiliations. Les puissances occidentales, la Grande Bretagne en tête(75), ont de concert de 1840 à l9l0multiplié les agressions, les annexions de fait, les ponctions économiques sans contrepartie, dans le cadre d'un réseau de traités inégaux (le premier étant celui de Nankin de 1842), au mépris du droit international dont les bénéficiaires étaient exclusivement les Etats occidentaux (76). Selon la formule du premier Président de la République chinoise, Sun Yat Sen, la Chine n'était qu'une "hypocolonie" sous la tutelle de plusieurs colonisateurs exploitant toutes les faiblesses de l'Etat chinois, notamment sa crainte de s'appuyer sur les mouvements populaires de contestations (77)

Toute l'économie est au début du XX*'siècle (1910-1920) entre les mains des entreprises étrangères (75.è 90% des mines, 50o/a de l'industrie cotonnière, 85 à90o/o du commerce extérieur, etc...). Elle subit, de plus, le contrecoup des crises venues d'Occident (par exemple, la crise de 1923).

A partir de 1931, c'est l'impérialisme japonais qui prend le relai. A la suite d'une pénétration localisée (création du Mandchoukouo en 1932, par exemple), l'agression japonaise se généralise à partir de 1937. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, les ex-puissances coloniales tentent leur "retour", mais sans résultat. C'est la révolution communiste et la naissance de la République populaire qui bouleversent radicalement la situation.

 

Aujourd'hui la Chine est à la fois une puissance "émergente" dont le taux de croissance est à deux chiffres (près d'un tiers de sa population bénéficie de s conditions de vie d'un pays développé), un pays appartenant encore au Tiers Monde (environ 900 millions de Chinois, surtout dans les régions de l'ouest et dans les zones rurales ne connaissent pas le même rythme de développement), et un pays de haute civilisation (78 - 79). En dépit des inégalités régionales et sociales, l'Etat chinois est d'ores et déjà en mesure de peser sur les politiques du Nord et de faire contrepoids aux grandes puissances occidentales. Il détient en 2010 environ 800 milliards de

dollars de créances sur les Etats-Unis, 600 sur l'Europe et ses investissements (en particulier dans le domaine des infrastructures), se réalisent sur tous les continents, substituant progressivement à l'emprise jusque-là monopoliste des firmes occidentales.

Le développement de l'économie chinoise et la progression culturelle et sociale de un milliard trois cent soixante millions de Chinois concernent ainsi tous les pays en développement. Sa capacité démontrée à surmonter les crises financières du monde capitaliste (qui ont, en particulier, lourdement frappé le Japon) fait de la Chine un allié stable et, sinon un modèle, du moins une référence pour de nombreux Etats du Sud qui s'étaient après la disparition de I'URSS alignés sur le néolibéralisme occidental.

La politique chinoise manifeste une indifférence à l'égard des pressions extérieures, conformément à sa tradition : elle incite ainsi l'ensemble du Sud à refuser les diktats et les ingérences. Elle réhabilite le principe de souveraineté et le droit des peuples à décider de leur système politique et économique. La chine, à la différence, par exemple, des pays de l'Union Européenne ou des Etats-Unis, n'impose aucune clause de conditionnalité politique ni aucun plan d'ajustement structurel comme l'exige le FMI. Lorsqu'elle s'engage financièrement, elle prend garde de ne pas perturber la société civile et la vie politique interne de l'Etat concerné : la chine aujourd'hui a pour principe de dissocier les échanges économiques et les relations politiques internationales. Les contrats ainsi conclus par la Chine et ses firmes s'interposent entre les pays du Sud et le Nord qui se trouve désormais placé en concurrence défavorable.

Son efficacité économique et ses capacités financières (80) en font un partenaire recherché : le Président Wade a pu ironiser en déclarant qu'un projet financé par la Banque Mondiale mettait plusieurs années à être décidé, tandis qu'un projet chinois ne mettait que quelques jours ! Or, pour des économies en état d'urgence, la rapidité est vitale'

Le rythme et la nature de l'évolution de l'économie chinoise ouvre des perspectives positives pour les économies du Sud. Les difficultés dans le domaine de l'exportation depuis la crise de 2008 - toujours en cours - commencent à être surmontées par le développement du marché intérieur extrêmement large, apte à maintenir un taux de croissance très élevé, créant des conditions favorables pour les accords avec les autre pays du Sud.

De plus, les secteurs que l'économie chinoise privilégie concernent les pays en développement, qu'il s’agisse du simple financement à bon marché d'infrastructures ou de fourniture de produits de haute technologie (métaux rares' nouvelles énergies, nucléaire, etc...). Les Etats du Sud ne sont plus (et le seront de moins en moins dans l'obligation de conclure des accords économiques excessivement favorables aux firmes occidentales alors qu'ils étaient depuis une vingtaine d'années placés dans leur dépendance (sauf à courir le risque d'embargo et de sanctions diverses). La Chine fait réapparaître un contrepoids créant un nouvel équilibre dans une société internationale devenant multipolaire (avec, outre la Chine et le pole euraméricain, un pôle sud-américain, un pôle indien et un pôle arabo-africain).Cette multipolarité (plus favorable encore que l'ancienne bipolarité Est-Ouest) peut conforter cette "libération" des pays en développement.

Les années soixante-dix (avec par exemple la Charte des Droits et Devoirs économiques des Etats et le "Nouvel Ordre international économique" ne constitueraient plus la "parenthèse" jugée "irréaliste" par l'Occident(81)

 

Elles deviendraient une tentative simplement prématurée, préparatoire à la seconde "révolution" des pays du Sud, celle succédant à leur accession politique à l'indépendance, où l'imaginaire politique et l'intérêt économique national de chaque peuple auraient potentiellement la capacité de s'affirmer, en sortant définitivement du mimétisme (82) de I'humitiation (83) et du paternalisme, sans continuer à subir de s gouvernants soumis aux grandes puissances et à des politiques qu'ils n'ont pas décidées. La "réappropriation" par les pays du Sud de leur destin peut favoriser non seulement un bouleversement des relations internationales mais aussi un renouvellement des modes de développement.

Toutefois, une incertitude majeure règne sur la nature même du système chinois, entretenue par certaines ambigüités dans sa politique étrangère (84).

L'analyse occidentale la plus commune fait de la Chine un système capitaliste autoritaire, bien que le Parti communiste en soit la force dirigeante et que I ‘Etat reste très interventionniste. Une autre analyse, celle par exemple de Domenico Losurdo (85), voit dans la phase actuelle de la politique chinoise une gigantesque "N.E.P", c'est-à-dire une politique transitoire axée sur la révolution industrielle, scientifique et technique à l'aide de moyens capitalistes. (nationaux et internationaux) placés sous le contrôle de l'État qui limite et régule les opérateurs privés dans le cadre d'un plan quinquennal, avec pour perspective le développement d'un marché intérieur et la redistribution progressive des richesses. L'accès au statut de grande Puissance économique et financière. (le yuan est déjà la monnaie d'échanges de certaines régions d’Asie; est considéré comme une révolution prioritaire, sans laquelle aucune autre n'est possible. c'était déjà la position de Mao Zedong et de Zhou En Lai (86) selon d'autres modalités'

 

Si les interventions occidentales en faveur du Tibet, l'assistance militaire à Taïwan et à la Corée du sud et les critiques permanentes à propos des droits de l’homme n’ont pas de prise sur Pékin, l’avenir de la Chine reste hypothétique. Elle peut évoluer en un simple capitalisme original si la direction de l’Etat passe entre les mains de la nouvelle bourgeoisie d'affaires qui s'est constituée ’87) et dont certains éléments ont été admis au P.C.C. Les Etats et les peuples du Sud risquent de ne connaître qu'un nouvel hégémonisme, concurrent de celui des Etats-Unis et de l’'Europe.

Si la Chine, au contraire, réussit son socialisme (comme la direction de Gorbatchev à la manière soviétique, avait cru l'entreprendre), le basculement du monde ne sera pas seulement géographique et économique, mais aussi idéologique politique et social.

En tout état de cause, ,et d'ores et déjà, l'enjeu est de savoir lequel du système chinois, où le rôle de l'État est fondamental, ou du système occidental, où l’Etat, malgré un certain retour depuis la crise de 2008, a cédé le rôle déterminant aux pouvoirs privés, est le plus efficace pour le développement social et humains s'Grâce à la Chine, la parenthèse occidentale arrive peut-être à sa fin.

 

Notes

32- Article paru le 25 juin 1853 dans New York Daily Tribune, n° 3804.

33-Pour l'Empire Mongol, voir Ibn Abil, Hadid Al-Madaini. Les invasions mongoles en Orient. L'Harmattan. 1995,

 

34- Voir A. Mbembe. Sortir de la grande nuit. Essai sur l'Afrique décolonisée. La Découverte. 20t0.

 

35- Voir les ambigüités de l'ouvrage de M. Wieviorka. Le racisme, une introduction. La Découverte. 1998. L'auteur propose une conclusion révélatrice très "occidentalo-occidentale" : "plus l'idée de nation se rétracte", plus se développe le phénomène raciste (p.150). Il établit une relation directe entre les insuffisances démocratiques dans le traitement des difficultés sociales et culturelles et le développement du racisme, ce qui est essentiellement une réalité propre à l'Europe (p.152). 36 Le premier dictionnaire français Larousse qui mentionne le mot "racisme" date de 1932, c'est-à-dire à l'apogée du colonialisme français.

 

36- le premier dictionnaire français Larousse qui mentionne le mot « racisme » date de 1932

 

37- E. Mannoni, dans Psychologie de la colonisation (1950) fait une analyse psychologique des rapports indigènes-colonisateurs, qui le conduit à considérer que le "racisme colonial diffère des autres racismes" (p.19). Il en oublie cependant que le racisme reproduit la situation économique, ce qui n'est pas démenti par le rapport "petits blancs"-"indigènes", car la colonie institutionnalise une hiérarchie sociale accentuée entre ces deux catégories' comme c’était le cas entre le prolétariat blanc et le prolétariat noir et arabe en Afrique du Sud ou en Algérie. (Cf. F. Fanon. Peau noire, masques blancs' Seuil 1952),

 

38- Il est donc très abusif d'affirmer que "l'Eglise a été (...) l'un des seuls adversaires de l’impérialisme colonial, comme ose l'écrire le juriste Marcel Marlevin (p.11) in « L’anticolonialisme européen de Las Casas à Marx » A. Colin en 1969' La dénonciation par l’évêque Las Casas des excès de la colonisation n'est qu'un cas isolé !

 

39 Cité dans M. Merle. op.cit. p.63.

 

40- D.Ki-Zerbo. A quant l'Afrique ? L'Aube' 2003 p.67

 

41-Les gouvernements successifs d'Israël ont usé de la même tactique à l'encontre des mouvements palestiniens: ils ont d'abord combattu prioritairement la gauche (FPLP, FDLP), puis le Fatah, en particulier en favorisant le Hamas, avant de tenter de détruire le Hamas et d'imposer au Fatah une ligne collaboratrice

42- Cf. Robert Charvin, Guillaume Dujardin. Corée - Vers la réunification. L'Harmattan. 2010.

43- N'ont pas subi le même opprobre occidentale ni les comme ceux de Eyadema Bokassa Bongo, Ben Ali, militaires sud-américains.

44- A. Traoré. Le viol de l'imaginaire. Fayard. ZAA4.mêmes interventions, des régimes Moubarak et les divers dirigeants

 

45- Cf. différents ouvrages de Hernando Calvo Ospina et par exemple. L'équipe de choc de la CIA. Le Temps des Cerises. 2009

 

46 -Cf. R. Charvin, A. Marouani. Les relations internationales des Etats socialistes. PUF.1981

 

47- Un article (anonyme) de la Revue des Deux Mondes du 15 novembre 1927 intitulé "La défense contre le bolchévisme" exprime clairement ce que l'Europe craignait et la part de la révolution russe : "Que ce soit en Chine, aux Indes, au Maroc, en Égypte, en Syrie, en. Palestine, à Java ou ailleurs, les mouvements nationalistes sont canalisés par une organisation dépendant directement du Kominterm de Moscou. Le mot d'ordre apparent est "libération des peuples opprimés". Le mot d'ordre secret est "asservissement à la IIIe Internationale". Peut-on abandonner ces peuples à la domination bolchéviste ?" (...). "Le crime" du bolchévisme est de "dresser systématiquement contre la supériorité de la race blanche la totalité des races de couleur", et de "faire alliance avec elles". !

 

48- Les États occidentaux ne reconnaissent pas les Etats baltes, considérant que "les vraies frontières" de la Russie doivent inclure "tout l'Empire russe", car la politique officielle est sa restauration. Les principes "universels" du Président Wilson définis en l9l8 ne s'appliquent pas aux nations de I ‘Empire russe ! C. T.l. Kiss. Les pays de l'Europe de l'Est. Paris. 1964. p.34-35

 

49- Cf. C. Starouchenko. Le principe de I ‘autodétermination des peuples et des nations. Ed. du Progrès. Moscou (sans date). La valeur juridique de ce principe est contesté en Europe et aux Etats-Unis durant une très longue période aux Etats-Unis et en France par les représentants de la doctrine classique par exemple M. Sibert (Traité de droit international public. Paris. l95l) ou J-F. Cuilhaudis (Le droit des peuples ù disposer d'eux-mêmes. PUC.t976)

 

50- Cf. F. Engels. Textes d'émigration in Marx-Engels. (Œuvres. t" XV, p.223 (éd. Russe).

 

51- Z. Brzezinski, conseiller du Président Carter de 1975 à 19E0, a pu déclarer : "Nous avons attiré les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette ? (:..). Qu'est-ce qui est le plus important au regard de I ‘histoire ? Les Talibans ou la chute de I ‘empire soviétique". interview dan le Nouvel Observateur. l5 juin 1998'

 

52 Cf. "Nous avons le droit d'être forts". Le Sato parallèlement au Nato. Foreign Media Corporation. Tripoli (sans date)

 

53- Lire L’éloge des frontières, à contre-courant de la pensée occidentale dominante, de Régis Debray. Gallimard.20lO.

 

54 -Ce phénomène s'est reproduit en Europe de l'Est après la chute du communisme.

55- Dans divers cas, les Etats "perturbateurs" n'ont pas été seulement affaiblis mais territorialement disloqués : c'est le cas de la Yougoslavie, ex-leader du mouvement des Non-alignés. où ont été stimulés des conflits nationalistes qui ont abouti à une implosion généralisée. C'est le cas de I'lrak. aujourd'hui divisé en espaces hostiles que le gouvernement de Bagdad ne contrôle plus (Voir P. Latour, M. Cury, Y. Yargas. Lrah guerre, embargo, mensonges et violences. Le Temps des Cerises. 1999'r. En Afrique, divers Etats sont victimes de sécessions de fait plus ou moins encouragées, voire armées par les puissances occidentales ou les firmes privées elles-mêmes (voir le cas de la R.D. du Congo, de la Côte d'Ivoire, etc.). En Palestine, tout est entrepris pour fractionner le territoire

"réservé" aux Palestiniens en espaces isolés les uns des autres, rendant impossible la création d'un Etat viable. L'arrêt Kosovo de la Cour Internationale de Justice du2? Juillet 2010 fonde une jurisprudence pouvant être lourde de conséquences, puisque pouvant être interprétée comme la reconnaissance d'un droit de sécession.

 

(56) Voir aussi les multiples conflits entre Etats africains en liaison avec les frontières fixées arbitrairement par tes colonisateurs. Cf. H. Brunschwig. Le partage de l'Afrique noire. Flammarion. 1971.

 

57 Cf. R. Kagan " La puissance et la faiblesse mondiale. .Les Etats-Unis et l'Europe dans le nouvel ordre mondial Plon. 2003

 

58 -La Belgique, pour sa part n'hésite pas à armer des rebellions dans son « ex Congo Léopoldville aujourd'hui R.D. du Congo

 

59- Voir, par exemple, le procès systématique fait à H. Chavez et à son régime par les grands médias occidentaux.@ L'Église catholique, malgré la devise sandiniste "Christianisme, solidarité et socialisme », est en général hostile à D. Ortega. Cette hostilité est cependant atténuée par la corruption de certains hommes d'Eglise.

 

60-Ces "techniques" sont passées en revue par A. Lacroix-Ruiz dans L'Histoire contemporaine sous influence. Le Temps des Cerises.2004. !

 

62 -Les ouvrages publiés en France, par exemple, sur ces massacres coloniaux sont rares et souvent peu médiatisés. Voir par exempte, Alain Ruscio. La décolonisation tragique. 1945-1962 Ed. Sociales. 1987, ou Yves Benot. Massacres coloniaux. tg42-t950: La III° République et la mise au pas des colonies françaises. La Découverte' 1994. Dans chaque pays du Sud ayant accédé à I ‘indépendance. par contre. des ouvrages sont publiés faisant le procès des colonisateurs: par exempte, pour I ‘Algérie, R. Ainad Tabet Le 8 mai 1945 en Algérie. OPU. Alger. l985 M'Hamed Yousfi. L'OAS et la fin de la guerre d'Algérie. Alger.1985. Slimane Chikh. L'Algérie en armes ou le temps-des certitudes. Casbah Éditions Alger. 2006. ces comportements contradictoires entretiennent une profonde incompréhension entre les ex-colonisateurs et les ex-colonisés.

 

63- Voir le discours dominant des Rawls, Castells, Touraine, Ripkin et autres, qui s'inscrivent tous dans la tradition de la pensée libérale nord-américaine et européenne, complétée par une pensée plus sommaire, plus radicale et plus accessible sur le "choc des civilisations». par exemple destinée à cimenter le "racisme occidental" et à faire accepter à I ‘opinion la mise en æuvre d'un apartheid à l'échelle mondiale, par une pensée compassionnelle d'autolégitimation

64 -S. George. Leurs crises, nos solutions. Fayard. 2010.

 

65 -C'est ainsi, par exemple, qu'en matière de gestion de. I ‘eau, la mauvaise qualité du fonctionnement des régies favorise l'acceptation de la privatisation du traitement et de la distribution de l'eau remis entre les mains des firmes transnationales.

 

66 -Voir Samir Amin. Le virus libéral. La guerre permanente et l'américanisation du mande. Le Temps des Cerises. 2003.

 

67- Voir sur ce thème, H. Laborit. La colombe assassinée. Grasset. 1983.

 

68- Cf. M. J. Glennon. "Droit, légitimité * et intervention humanitaire", in G. Andreani' P.Hassner {sous la direct.) « Justifier la guerre « Sciences Politiques. Les Presses. 2005, p.213 et s.

 

69- Cf. P. Hassner. "Des dilemmes de l'action aux contradictions des institutions : ambigüités, de l'ordre", in Justifier la guerre 2 op. cit. p.321 et s.'

 

70- Le conseil de Sécurité, sous la direction des Grandes puissances dotées du droit de veto agit bien au-delà des compétences prévues par la Charte et sans contrôle de décisions.

 

71 -Voir les analyses d'H, Laborit, in La colombe assassinée op. cité p.180 et s.

 

72-La justice pénale internationale en voie de développement pratique, comme les instances dirigeantes des Nations Unies, une politique des "deux poids, deux mesures.

 

73- En 1919, par exemple, à Amritsar, au Pendjab, environ 600 manifestants pacifiques sont tués. Gandhi lui-même est emprisonné à plusieurs reprises comme les autres dirigeants du parti du Congrès. En raison de leur refus à être mêlés à la Seconde Guerre mondiale de1941 42,25.000 lndiens sont incarcérés. Gandhi n'est libéré qu'en 1944 à l'âge de 74 ans'Cf. O. Lacombe. Gandhi ou la force de l'âme. Plan. 1964. Voir B'R. Nanda. Mahatma Gandhi. Dehli-Oxford University Press. t989. S. Panter-Brick. Gandhi contre Machiavel. Denoë1. 1963, C. Drevet. Pour connaître la pensée de Gandhi. Bordes' 1954' Voir surtout les textes de Gandhi lui-même: Gandhi. Résistance non-violente. Buchet-Chastel. 1986. Gandhi. Tous les hommes sont frères. Gallimard. 1969

 

74- La violence plurimillénaire ne peut disparaître quelles que soient les conditions faites à I ‘homme" Elle peut cependant perdre en intensité et les affrontements armés peuvent diminuer en nombre, en raison notamment du coût économique très élevé des conflits dans les pays lorsqu'ils sont développés.

 

75- Ont aussi participé à la curée la France, la Belgique, I ‘Allemagne, la Russie, les Etats-Unis.

 

76 - Cf. Nora Wang. L'Asie orientale du milieu du XN" siècle à nos jours. A. Colin. 1993.

 

77- Les mouvements populaires de résistance (qualifiés par les Européens de "bandits") se sont multipliés dans la seconde moitié du XIX"* siècle, avec la révolte des Taiping (1851) (inspirée d'un syncrétisme idéologique basé sur Confucius, Bouddha Tao, Christianisme) et favorable à la mise en commun des terres), des Niam, des Boxeurs (premier grand mouvement anti-occidental- 1899-1900, écrasé par une armée européenne de 20.000hommes).

 

78- La place contemporaine de ta Chine est une renaissance : entre 1000 et 1500, elle était I ‘un des pays les plus avancés du monde et au XVIIIè* siècle elle connaissait le même niveau de développement que la Grande Bretagne. C'est surtout à partir du XIXè" siècle que la Chine a dû subir des agressions et des occupations étrangères, illustrées par une série de traités inégaux imposés par les puissances européennes.

 

79- Certains auteurs occidentaux, négligeant ce passé, osent déjà accuser la Chine "d'arrogance" et de "bête" menaçante (Voir, par exemple, E. Izraelewicz. L'arrogance chinoise. Essai.Crasset.2011). Sans crainte du paradoxe et sans complexe ces auteurs, partisans de l'hégémonie du capitalisme occidental, l’assimile à un "magasin de porcelaine" dans lequel s'est introduit "l'éléphant" chinois ! (p. 237). l. Izraelewicz conclut qu'il faut "faire comprendre à la Chine que la réciprocité ne peut être systématiquement bafouée » ce qu'a pourtant abondamment pratiqué I ‘Occident vis-à-vis d'elle !-46-

 

80- Les experts de la Banque Golden Sachs estiment que la Chine aura le plus fort PIB du monde en 2020

 

81- Voir, par exemple, C. Nigoul et M. Tonelli. Les mystifications du Nouvel Ordre international PUF. 1984.

 

82- La situation avec I'URSS, puissance avant tout européenne, était très différente. La politique soviétique s'évertuait à faire jouer en faveur de I'URSS un mimétisme (qui s'avérait pourtant souvent inadapté). Les membres des gouvernements du Sud qui s'y ralliaient étaient fortement influencés par l'assistance dont ils avaient bénéficié dans le cadre des mouvements de libération nationale, ainsi que par le modèle de développement qui semblait stable et efficace (le barrage d'Assouan en Egypte ou l'achèvement du Complexe métallurgique d'Annaba que la France avait abandonné dans le cadre de son "Plan de Constantine" avorté en étaient des illustrations). L'option en faveur d'un "socialisme d'Etat" plus ou moins ressemblant au modèle soviétique n'empêchait cependant pas la répression à l'encontre des communistes locaux (comme l'Egypte de Nasser, par exemple).

83 - Cf. Aminata Traoré. L'Afrique humiliée. Fayard. 2008.

 

84- Par exemple, l'abstention de la Chine au Conseil de Sécurité lors du vote de la résolution1973 du Conseil de Sécurité de 20ll permettant en fait le déclenchement d'une opération militaire contre la Libye. Cette abstention chinoise pourrait être due aux accords pétroliers vitaux conclus avec I ‘Arabie Saoudite, alliée des Occidentaux dans la crise libyenne.

 

85- D. Losurdo. Fuir l'histoire ? La révolution russe et la révolution chinoise aujourd'hui. Ed.Delga et Temps des Cerises.2007.

 

86 - Cf. Han Suyin. Le siècle de Zhou Enlai, le Mandarin révolutionnaire' Stock' 1993

 

87 -Un processus de cette nature s'est développé en Algérie, au sein même du FLN et à l'instigation du clan des importateurs (tous liés à I ‘Europe), en dépit de la conscience du risque qu’en avait le FLN lui-même (voir le Congrès de 1965 et le texte de la "Charte d'Alger".

 

88 - La Fondation Carnegie, dans le domaine de la lune contre la pollution, par exemple' va à contre courant de l’opinion dominante, en constatant en 2010 les interventions étatiques chinoises contre tes usines les plus polluantes (2097 fermetures). De plus' le développement des « énergies verte » (la Chine est la première productrice mondiale pour les matériels et cellules photovoltaïques, pour les batteries électriques de véhicules, et au quatrième rang pour les éoliennes).'Cf. La Tribune. "La Chine maître du green business". 3l mars 2010.

 

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9 décembre 2013 1 09 /12 /décembre /2013 17:42

La Zone de défense d’identification aérienne de la Chine En créant une zone de défense aérienne la République populaire a donné l’occasion aux médias occidentaux de manifester leur inquiétude face à « la montée en puissance de la Chine » selon l’expression consacrée. Une zone de défense d’identification aérienne (ZDIA) est un concept inspiré de celui des eaux territoriales pour les océans et les mers : un Etat détermine à sa périphérie une zone dans laquelle il étend sa souveraineté. De la même façon qu’un navire de guerre étranger peut se voir refuser par l’état riverain le droit de pénétrer dans ses eaux territoriales un avion militaire étranger peut se voir interdire l’accès à la zone de défense aérienne du pays. Pour les avions civils par contre il n’y a pas d’exclusion mais il est demandé à l’aéronef étranger de donner des informations sur son vol avant de pénétrer dans la ZDA. La première réaction des Etats-Unis à cette décision chinoise a été une réaction d’humeur belliqueuse du type exprimant leur refus de voir limiter leur liberté de vol au plus prés du territoire chinois. En conséquence deux bombardiers B 52 ont aussitôt été dépêchés dans la ZDA chinoise pour manifester un non respect de la mesure chinoise. Escomptaient-ils une riposte militaire chinoise ? C’était croire que la Chine perdrait son sang froid alors que tout démontre que la décision chinoise était mûrie et pesée. Il s’agirait plus tôt d’une sorte de provocation, les militaires US réagissant mécaniquement à une mesure qui dans toute leur culture est inacceptable .Mais le pouvoir civil a bientôt confirmé que les avions civils des compagnies étasuniennes se plieraient aux règles d’information établies par la Chine, et le Vice- président Biden a fait sans tarder le voyage de Pékin pour faire le point de la situation. Passé l’épisode pittoresque et digne d’un feuilleton télévisé des deux bombardiers en goguette, la prudence s’est imposée. En effet bien que n’existe pas aujourd’hui d’accord international sur l’air permettant l’extension de la souveraineté d’un Etat sur sa périphérie aérienne comme il en existe un pour la mer , la ZDA chinoise a des précédents : un qui concerne les Etats-Unis qui en commun avec le Canada ont définis deux ZDA l’une côté atlantique , l’autre côté Pacifique et un qui concerne le Japon qui a tout simplement appliqué à l’espace aérien la limite de la Zone économique exclusive (ZEE) établie par la convention internationale sur le droit de la mer soit à 200 miles marins de la côte. D’autres pays peu nombreux : L’Inde et inévitablement le Pakistan a suivi, la Norvège, le Royaume Uni, Taiwan et la Corée du Sud ont aussi établi une ZDIA sans que cela ait beaucoup suscité d’émotion. Les cartes qui suivent montrent les ZDIA étasuniennes et japonaise. La seconde montre que la stratégie militaire du Japon est dépendante de celle des Etats-Unis et que la Chine est si proche est considérée comme une menace. La République populaire n’est donc pas en situation d’attaque, mais de riposte .Elle a observé que les manœuvres militaires des Etats-Unis et de leurs alliés étaient de plus en plus nombreuses au large de ses côtes, elle sait que tous ses voisins : Japon, Corée du Sud, Taiwan ont des ZDIA et elle a attendu pour prendre cette nouvelle position de disposer de moyens militaires aériens lui permettant de s’opposer réellement à la pénétration de sa ZDIA par un appareil ennemi. Tel est le cas aujourd’hui. Les mises au point diplomatiques qui vont avoir lieu devraient en bonne logique aborder un problème nouveau dans le droit des relations internationales : celui des drones. En effet une ZDIA est un espace où - Les vols civils étrangers sont autorisés en principe sous réserve d’une information préalable - Les vols militaires étrangers sont interdits en principe sauf dérogation Mais comment considérer un drone ? Abattre un drone qui pénètre anonymement dans une ZDIA est-ce un acte de guerre ? La décision chinoise ouvre un débat au plus haut niveau sur cette question qui met indirectement en cause toute la nouvelle doctrine militaire US.

La Zone de défense d’identification aérienne de la Chine

 

En créant une zone de défense aérienne la République populaire a donné l’occasion aux médias occidentaux de manifester leur inquiétude face à « la montée en puissance de la Chine » selon l’expression consacrée.

Une zone de défense d’identification aérienne (ZDIA) est un concept inspiré de celui des eaux territoriales pour les océans et les mers : un Etat détermine à sa périphérie une zone dans laquelle il étend sa souveraineté. De la même façon qu’un navire de guerre étranger peut se voir refuser par l’état riverain le droit de pénétrer dans ses eaux territoriales un avion militaire étranger peut se voir interdire l’accès à la zone de défense aérienne du pays. Pour les avions civils par contre il n’y a pas d’exclusion mais il est demandé à l’aéronef étranger de donner des informations sur son vol avant de pénétrer dans la ZDA.

La première réaction des Etats-Unis à cette décision chinoise a été une réaction d’humeur belliqueuse du type exprimant leur refus de voir limiter leur liberté de vol au plus prés du territoire chinois. En conséquence deux bombardiers B 52 ont aussitôt été dépêchés dans la ZDA chinoise pour manifester un non respect de la mesure chinoise. Escomptaient-ils une riposte militaire chinoise ? C’était croire que la Chine perdrait son sang froid alors que tout démontre que la décision chinoise était mûrie et pesée. Il s’agirait plus tôt d’une sorte de provocation, les militaires US réagissant mécaniquement à une mesure qui dans toute leur culture est inacceptable .Mais le pouvoir civil a bientôt confirmé que les avions civils des compagnies étasuniennes se plieraient aux règles d’information établies par la Chine, et le Vice- président Biden a fait sans tarder le voyage de Pékin pour faire le point de la situation.

Passé l’épisode pittoresque et digne d’un feuilleton télévisé des deux bombardiers en goguette, la prudence s’est imposée. En effet bien que n’existe pas aujourd’hui d’accord international sur l’air permettant l’extension de la souveraineté d’un Etat sur sa périphérie aérienne comme il en existe un pour la mer , la ZDA chinoise a des précédents : un qui concerne les Etats-Unis qui en commun avec le Canada ont définis deux ZDA l’une côté atlantique , l’autre côté Pacifique et un qui concerne le Japon qui a tout simplement appliqué à l’espace aérien la limite de la Zone économique exclusive (ZEE) établie par la convention internationale sur le droit de la mer soit à 200 miles marins de la côte. D’autres pays peu nombreux : L’Inde et inévitablement le Pakistan a suivi, la Norvège, le Royaume Uni, Taiwan et la Corée du Sud ont aussi établi une ZDIA sans que cela ait beaucoup suscité d’émotion.

Les cartes qui suivent montrent les ZDIA étasuniennes et japonaise. La seconde montre que la stratégie militaire du Japon est dépendante de celle des Etats-Unis et que la Chine est si proche est considérée comme une menace.

La République populaire n’est donc pas en situation d’attaque, mais de riposte .Elle a observé que les manœuvres militaires des Etats-Unis et de leurs alliés étaient de plus en plus nombreuses au large de ses côtes, elle sait que tous ses voisins : Japon, Corée du Sud, Taiwan ont des ZDIA et elle a attendu pour prendre cette nouvelle position de disposer de moyens militaires aériens lui permettant de s’opposer réellement à la pénétration de sa ZDIA par un appareil ennemi. Tel est le cas aujourd’hui.

Les mises au point diplomatiques qui vont avoir lieu devraient en bonne logique aborder un problème nouveau dans le droit des relations internationales : celui des drones.

En effet une ZDIA est un espace où

  • Les vols civils étrangers sont autorisés en principe sous réserve d’une information préalable
  • Les vols militaires étrangers sont interdits en principe sauf dérogation

Mais comment considérer un drone ?

Abattre un drone qui pénètre anonymement dans une ZDIA est-ce un acte de guerre ?

La décision chinoise ouvre un débat au plus haut niveau sur cette question qui met indirectement en cause toute la nouvelle doctrine militaire US.

 

zone de défense d'identification aérienne des Etats-Unis et du canada

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zone de défense d'identification aérienne du Japon

zone de défense d'identification aérienne du Japon

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