Bulletin n° 390 - 6 Juin 2019
La signature d’un tricheur ne vaut rien
La signature des accords de paix entre la guérilla des Farc et le gouvernement colombien avait été largement saluée dans le monde entier et avait valu au président colombien de l’époque Manuel Santos le prix Nobel de la paix.
Mais cet accord soumis à référendum avait été rejeté par la population à la suite d’une intense campagne orchestrée par l’ex président URIBE patron puissant de la narco-droite colombienne et leader de la majorité sénatoriale. Santos avait donc dû revoir sa copie à la baisse et renégocier l’accord avec les FARC qui s’y étaient prêtées.
A la suite de quoi les guérilleros ont déposé les armes et ont été rassemblés temporairement dans des camps : les ETCR où ils suivent des formations destinées à leur faciliter le retour à la vie civile et les FARC se sont transformées en parti politique légal. Les « ETCR » qui sont supervisés par l’ONU seront fermés en Aout 2019. Les guérilleros seront alors dispersés donc fragiles.
Du côté du pouvoir SANTOS a été remplacé à la présidence par IVAN DUQUE fidèle d’URIBE qui ne fera rien pour tenir les engagements gouvernementaux de réforme agraire et de redistribution des terres arrachées par la violence armée aux paysans. Parallèlement les paramilitaires : lire « les escadrons de la mort protégés par le pouvoir » ont continué à assassiner impunément leaders syndicaux, paysans et aussi anciens guérilleros désarmés. La paix n’est donc pas au rendez-vous.
Dans ce contexte bien établi est survenu un évènement : la libération suivie de la recapture immédiate dans des conditions crapuleuses d’un négociateur des accords de paix, un des principaux leaders et considéré comme le stratège des FARC : JESUS SANTRICH qui a conduit le principal négociateur des FARC IVAN MARQUES à l’autocritique dont suit la traduction.
Ce cri d’alarme a semble-t-il été entendu et la crainte de voir une partie des FARC rejoindre la seconde guérilla l’ELN qui n’a pas déposé les armes (et n’entend pas les déposer tant que le pouvoir ne tiendra pas ses engagements écrits ce qui a été le cas avec les FARC) a conduit le pouvoir judiciaire (voir article publié par Initiative communiste ci-après) à relibérer JESUS SANTRICH. Ce geste d’apaisement s’inscrit dans un contexte régional particulier : dans le plan étasunien de renversement du gouvernement du Venezuela voisin, la Colombie, son armée, ses escadrons de la mort, le tout sous la tutelle des militaires US qui disposent de 7 bases en Colombie ont un rôle important. Un renouveau de la guérilla en Colombie compliquerait la tâche.
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Aux guérilleros dans les ETCR et à tous les Colombiens
Ivan Marquez
Ce fut une grave erreur d’avoir remis les armes à l'État tricheur, confiants dans la bonne foi de l’autre partie (souligné par nous)
Il est temps d’élever la voix contre la mesquinerie humaine du système dirigé par l'uribisme et l'ambassade des États-Unis contre le rêve de paix de millions d'âmes qui cherchaient à mettre fin à plus d’un demi-siècle de confrontation armée.
Quelle saleté de Ministère public avons-nous nous les Colombiens qui, pour libérer, pour recapturer et pour ensuite légaliser la capture d’un non-voyant, doit le droguer jusqu'à le rendre inconscient et à provoquer un arrêt respiratoire
Aucun Colombien n'a besoin d'être juriste pour comprendre que rien ce qu'une personne droguée par la force peut dire - comme c’est arrivé avec Santrich – n’est légal. Cette “légalisation de capture” a été une illégalité, un abus d'autorité. L’ex-Procureur Général et jusqu'aux médecins qui se sont prêtés à cette infamie rampante doivent en répondre
Président Duque, ne tourne pas le dos à la Constitution, ne trahis pas ton serment. Ne dynamite pas l'indépendance des pouvoirs avec cette haine sourde qui cherche seulement à réduire en miettes et à laisser sans effet l'Accord de paix de La Havane. Ne déchire pas les habits de président propre qui te protègent en face du trafic de stupéfiants, parce que tu sais très bien que ton chef politique Álvaro Uribe Vélez est un chef mafieux aux marques ineffaçables. Souviens toi de Pablo Escobar Gaviria très satisfait de ton actuel chef politique qu'il a présenté comme “ce garçon béni ”, lequel alors qu’il était directeur de l'Aéronautique Civile l’a autorisé à utiliser les pistes de l’aéroport de Yarí d'où sont partis les chargements de cocaïne qui ont inondé les rues des États-Unis.
Par ce seul geste délictueux, Uribe peut être qualifié pour la postérité comme le précurseur du trafic de stupéfiants en Colombie. N'oublie pas que cette décision est l’origine du malheur qui a enveloppé tout le pays.
Ne feins pas non plus une douleur qui n'existe pas pour les victimes du conflit quand ton chef a les mains tachées du sang répandu par le paramilitarisme. La mémoire historique affirme que le paramilitarisme a assassiné en Colombie plus de 100 mille Colombiens, crimes qui continuent dans le fond obscur de l'impunité. que répond Uribe pour les « faux positifs »* qu'aujourd'hui ils veulent relancer comme le dénonce avec assurance le New York Times. Que répond-il pour le déplacement forcé de la population rurale et la spoliation violente de 8 millions d'hectares de terre. Il faut qu’Uribe et Marta Lucía Ramirez disent la vérité sur les morts de la Communauté 13 du Medellín et sur les fosses où ils les ont cachés. Ce serait bon pour la Colombie que les tiers impliqués dans le conflit, pas les militaires, disent aussi la vérité.
Président, freine cette sale campagne médiatique avec laquelle toi et ta faction politique voulez démolir le plus beau sentiment qui palpite dans le cœur des Colombiens, qui est celui de la paix.
Collègues de l'ETCR : au nom des commandants militaires de l'ancien Etat-major central des FARC, commandants des fronts et des colonnes, touchés par la trahison de l'Accord de paix de La Havane par l'Etat, nous réitérons, de manière autocritique, que ce fut une grave erreur que d'avoir remis les armes à un Etat qui triche, confiant dans la bonne foi du partenaire.
Quelle naïveté de ne pas nous souvenir des sages paroles de notre commandant en chef Manuel Marulanda Vélez, qui nous avait prévenus que les armes étaient la seule garantie du respect de ces accords.(souligné par nous).
La triste réalité est qu'ils nous ont posé un lapin. Puisse la paix en Colombie continuer d'être notre bannière. Nous continuerons de nous battre pour l'obtenir. Nous devons poursuivre la lutte. La Colombie a besoin d'un nouveau gouvernement, d'un gouvernement véritablement démocratique qui tienne ses promesses et fasse du plus haut de tous les droits une réalité. Nous appelons tous les Colombiens à se mobiliser pour défendre la paix. La coopération de tous pour la paix est le chemin.
Iván Márquez
« Faux positifs » : il s’agit d’attentats organisés par les paramilitaires et qui sont attribués par le gouvernement et les médias à la guérilla.
Traduction Comaguer
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La récente libération de Jésus Santrich nous réjouit, mais ne démobilise pas notre solidarité!
Ivan Pinheiro *
La Cour suprême de Colombie a ordonné mercredi la libération de Jesus Santrich, l’un des anciens commandants de la guérilla des FARC et membre de sa délégation dans les pourparlers qui se sont déroulés à La Havane, en vue de la résolution politique du conflit armé dans ce pays. Au moment où j’écris, il est déjà chez lui.
Le 17 mai dernier, à la suite d’une décision de la juridiction spéciale pour la paix (créée par les accords de La Havane, spécialement pour le procès des personnes impliquées dans le conflit), Santrich avait également été libéré d’une peine absurde d’une durée supérieure à un an. Mais ce jour-là, sa liberté n’excéda pas quelques minutes : immédiatement, le gouvernement Duque / Uribe ordonna une nouvelle arrestation (et qui s’est déroulée entre la prison et son domicile), sous prétexte de prétendus crimes qui auraient été commis par lui après la conclusion des accords.
L’accusation, invraisemblable pour ceux qui connaissent la trajectoire de Jesus Santrich, ses principes humanistes et ses idéaux révolutionnaires, mais aussi qui connaissent la vigilance quotidienne avec laquelle les services de sécurité colombiens le suivaient, était la suivante: ayant quitté les montagnes et vivant avec sa famille à Bogotá, il aurait commencé à se consacrer au trafic de drogue aux États-Unis, ce qui n’est évidemment qu’un prétexte pour justifier son extradition demandée par le gouvernement de ce pays.
La justice spécifique aux personnes impliquées dans la lutte armée avait décidé de le libérer parce qu’elle n’avait trouvé aucune preuve justifiant une arrestation arbitraire et, par conséquent, cela avait stoppé le processus d’extradition voulu par le gouvernement colombien, contrairement à celui de l’ancien guérillero des FARC, Simón Trinidad, extradé en 2004 et toujours incarcéré aux États-Unis, sans jugement.
Dans son récent arrêt, la Haute Cour de justice, sans même examiner le bien-fondé de l’accusation, a estimé que l’accusation colombienne était incompétente pour arrêter et juger Santrich. La Haute Cour de justice a même engagé une action, estimant que l’accusé avait été légalement investi en tant que député au Parlement colombien en 2018 et qu’il n’avait pas encore pris ses fonctions en raison de la persécution dont il était victime.
La récente libération de Jésus Santrich est une source de grande joie pour tous ceux qui militent contre l’impérialisme et pour le socialisme. Mais cela ne nous permet pas de nous associer plus étroitement à lui et à tous les militants qui doivent faire face au dur combat mené contre l’État terroriste colombien, qui a transformé le pays en une grande base militaire des États-Unis et utilise le paramilitarisme pour assassiner des centaines de militants sociaux et ex-guerilleros démobilisés.
L’État colombien ne pardonne pas à Santrich d’avoir osé dénoncer, même de prison, la farce dans laquelle les gouvernements Santos et maintenant les gouvernements Duque / Uribe transforment les accords de La Havane, les transformant en une lettre morte. Et il a peur de son exemple, de sa dignité et de son leadership !
Vive Jésus Santrich!
* Ivan Pinheiro est membre du Comité central du CCP; était l’un des fondateurs du Mouvement bolivarien continental
Traduction depuis le portugais JMP pour www.initiative-communiste.fr