Bulletin n° 389 – 15 mai 2019
***
FRONTIERES EUROPEENNES
Le « parlement européen » dont il est beaucoup question ces jours-ci siège, comme chacun sait, à Strasbourg. Mais y siège également une autre institution européenne moins connue quoique beaucoup plus ancienne : Le Conseil de l’Europe.
Quelques rappels historiques :
Sa création remonte à 1949. Elle est l’aboutissement d’un processus entamé dés 1945/1946 et porté d’un bout à l’autre par Winston Churchill. Celui-ci dés la fin de la guerre va s’employer à défaire l’alliance victorieuse et à enfermer l’URSS et les nouvelles démocraties populaires derrière un « rideau de fer » qu’il a lui-même tiré dans son discours de Fulton (1946) avec l’assentiment et en présence de Truman. Une fois délimités par les anglo-saxons les deux camps de la guerre froide il s’emploie à rassembler et organiser le camp occidental en Europe. Il confirme cette politique dans son discours de Zurich (19 septembre 1946) où il appelle à la création des Etats-Unis d’Europe et en 1948, toujours avec le soutien des Etats-Unis, en présidant en 1948 le Congrès de la Haye qui regroupe 800 parlementaires de pays d’Europe de l’Ouest. Il voit ses efforts couronnés de succès en 1949 par la création le 5 Mai 1949 du Conseil de l’Europe et la signature du traité correspondant.
La même année qui voit la fondation de l’OTAN concrétise la double emprise des Etats-Unis sur l’Europe de l’Ouest : militaire autour du noyau dur de l’UEO (Union de l’Europe occidentale) et idéologique le Conseil de l’Europe élargissant à la sphère de la culture et de ce qui ne se nomme pas encore le « droitdel’hommisme ». Les membres fondateurs sont au nombre de 10 : Belgique, Danemark, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Suède et Royaume-Uni.
Un absent notable : l’Allemagne. En effet il a fallu que les Etats-Unis et la Grande Bretagne réussissent, malgré les réticences de la France troisième puissance occupante, à unifier ce qui va devenir la RFA : l’Allemagne de l’Ouest et à enfermer derrière le rideau de fer churchillien l’Allemagne de l’Est qui du point de vue de l’URSS et en conformité avec les accords d’armistice n’était alors que la zone soviétique d’occupation. Ce sera chose faite un an plus tard pour le Conseil de l’Europe et en 1953 pour l’adhésion de l’Allemagne de l‘Ouest à l’OTAN. La même année le Conseil de l’Europe approuve la Convention européenne des droits de l’homme et se dotera pour faire respecter son application de la COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME devant laquelle tout citoyen d’un état membre peut attaquer une décision judiciaire prise contre lui dans son pays.
Il est ainsi très probable que des manifestants Gilets Jaunes lourdement condamnés par des juridictions françaises fasse appel devant la Cour Européenne qui a vivement critique les méthodes répressives de l’actuel gouvernement français. (Voir annexe)
Ensuite le Conseil de l’Europe va progressivement s’élargir et ne s’embarrassera guère de considérations géographiques sur les limites de l’Europe pour y parvenir. Ainsi se retrouvent dans cette Europe ci : la Turquie, l’Arménie, L’Azerbaïdjan la Géorgie. Après la chute de l’URSS l’ensemble des pays de l’Europe centrale et orientale y sont rentrés suivis en 1996 de la Fédération de Russie. Ainsi un citoyen russe habitant à Vladivostok à 8500 kilomètre de Strasbourg peut-il aujourd’hui saisir la COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME.
Au total le Conseil de l’Europe compte aujourd’hui 47 pays soit une population de plus de 800 millions de personnes dispersées de l’Islande au détroit de Behring, du cercle polaire au 34° parallèle (Chypre).
Si l’on ajoute que le Conseil de l’Europe s’est doté d’un cercle d’amis politiques dénommés « observateurs au Comité des ministres : le Saint Siège, les Etats-Unis, le Canada, le Japon et le Mexique. Enfin, les parlements nationaux du Canada, d'Israël et du Mexique ont le statut d'observateurs à l'Assemblée parlementaire. On comprend que l’Europe ainsi conçue n’a rien à voir avec des limites géographiques imprécises voire dénuées de sens mais est le nom donné depuis Washington à une zone sous hégémonie étasunienne et qui évolue en fonction de leurs ambitions impérialistes.
Le problème avec la Russie
Reste le cas de la Russie. Les années suivant la dissolution de l’URSS ont vu se multiplier les manœuvres du bloc occidental d’abord pour mettre la main autant que possible sur les trésors miniers et industriels de la Russie cette activité a connu un coup d’arrêt après l’arrivée de Poutine au pouvoir (voir affaire Khodorkovski) ensuite pour amarrer politiquement la Fédération de Russie au bloc occidental. L’entrée au Conseil de l’Europe faisait partie de cette stratégie. Bien sur l’assaut militaire meurtrier donné par Eltsine au parlement russe en 1993 avait rendu temporairement difficile cette adhésion mais elle devint possible en 1996 après le premier cesser le feu en Tchétchénie.
Mais la crise ukrainienne allait rendre cette intégration de la Fédération de Russie dans le concert européen délicate. Non pas que le Conseil de l’Europe ait condamné le coup d’état violent et fascisant du Maidan à Kiev, ni le renversement par la force d’un gouvernement élu ni la tentative d’assassiner le président Yanukovitch qui ne dut son salut qu’à la fuite. Non le Conseil de l’Europe n’a pas admis le résultat écrasant du référendum par lequel la population de la Crimée a demandé dans le calme son intégration à la Fédération de Russie, demande acceptée par la dite Fédération dans les formes constitutionnelles. La Russie a été sanctionnée par privation de son droit de vote dans l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe organe dirigeant du Conseil où elle de 18 représentants sur un total de 324 comme la France, l’Allemagne et le Royaume uni.
En conséquence la Russie a cessé de payer sa participation au budget de l’institution (7,3%) ce qui a des conséquences sur les effectifs du Conseil (250 postes seraient menacés sur un effectif de 2000 salariés). Comme le Conseil n’a pas levé cette sanction , la Russie menace maintenant de se retirer de la Convention des droits de l’homme , donc de priver les citoyens russes de toute possibilité de recours à la Cour européenne des droits de l’homme et de rendre son adhésion au Conseil de l’Europe inopérante. Si elle quitte le Conseil de l’Europe la frontière orientale de cette « Europe » à géométrie décidément très variable qui s’arrête aujourd’hui au détroit de Behring reculera de prés de 8000 km vers l’Ouest et s’arrêtera à Bakou sur la rive sud-ouest de la Caspienne.
La multipolarité à l’œuvre
A Strasbourg pas plus qu’à Washington à Paris ou Berlin personne ne veut admettre que la Russie défend dans les relations internationales son point de vue stratégique de monde multipolaire, qu’elle est le pays le plus étendu du monde et qu’elle peut donc à la fois se soumettre à des règles collectives dans le cadre du Conseil de l’Europe (les jugements de la CEDH sont respectés et exécutés en Russie) , participer à des organisations économiques régionales (marché commun eurasiatique ou organisation de coopération de Shanghai) et avoir conclu un partenariat stratégique avec la Chine.
Le monde des blocs antagoniques façonné par Churchill et mis en œuvre par les Etats-Unis voici plus de 70 ans ne fonctionne plus et bien que traversé de contradictions de plus en plus nombreuses « l’Occident » (concept géographiquement sans fondement, une sphère n’a pas de côtés) peine à l’admettre.
***
ANNEXE
Le Conseil de l’Europe préoccupé par la répression des manifestations de Gilets jaunes
30 janvier 2019
Le Conseil de l’Europe a taclé le gouvernement français pour les opérations lancées contre les manifestations de Gilets jaunes, qui poursuivent leur mouvement depuis 11 semaines. La commissaire aux droits de l’Homme, Dunja Mijatovic, qui s’est rendue à Paris le 28 janvier pour évoquer les questions de droits de l’Homme dans le contexte du mouvement des Gilets jaunes, s’est dite alarmée par le «niveau élevé de tension qui prévaut actuellement en France».
Elle a indiqué «s’inquiéter en particulier du grand nombre de personnes blessées, certaines très gravement, dans les manifestations ou en marge de celles-ci, notamment par des projectiles d’armes dites de défense intermédiaire telles que le lanceur de balles de défense», indique une déclaration du Conseil de l’Europe. Lors de son déplacement, Dunja Mijatovic a entendu les préoccupations exprimées par ses interlocuteurs concernant les violences.
«Les forces de l’ordre, parmi lesquelles de nombreux blessés sont aussi à déplorer, opèrent dans des conditions difficiles, notamment liées à l’hostilité de certains manifestants», a-t-elle constaté, en se disant toutefois préoccupée «par le nombre et la gravité des blessures résultant de l’usage de la force par les forces de l’ordre».
Dunja Mijatovic estime également que «la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, ne doit conduire à aucune restriction de la liberté d’expression et de réunion pacifique ainsi qu’au droit à la liberté et à la sûreté», ajoute la déclaration.
«La commissaire est particulièrement préoccupée par la disposition visant à interdire préventivement, par une décision administrative et sans contrôle préalable d’un juge, de prendre part à une manifestation, note encore le document. Elle s’inquiète également de celle érigeant en délit la dissimulation volontaire partielle ou totale du visage au sein ou aux abords d’une manifestation.»
«Dans un contexte si délicat, j’invite le gouvernement et le législateur à ne pas aller dans cette direction et à privilégier les voies du dialogue et à garantir le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales», a indiqué Dunja Mijatovic.
L’acte 11 de la mobilisation des Gilets jaunes a réuni quelque 69.000 manifestants samedi dans toute la France, dont 4.000 à Paris, selon le ministère de l’Intérieur. Ces chiffres font l’objet de polémiques. Dans certaines villes, notamment dans la capitale, les manifestations ont une nouvelle fois créé des tensions faisant des blessés. Ainsi, Jérôme Rodrigues, l’une des figures des Gilets jaunes, a été grièvement blessé à l’œil par les forces de l’ordre.
Source: Sputnik