Quatre documents éclairant le débat référendaire
***
Une note de notre ami Gilles Devers, avocat, spécialiste de droit international
Il y a un problème juridique sérieux avec le référendum.
La Nouvelle-Calédonie était occupée par un peuple, fait de tribus, d’origine mélanésienne depuis des millénaires. Après la « découverte » anglaise, l’ile a été annexée par Napoléon III en 1853, et la France a appliqué le code de l’indigénat (violation des droits personnels et confiscation des terres).
En 1946, le code a été supprimé. La Nouvelle-Calédonie est devenue un territoire d'outre-mer et les Mélanésiens des Français (sans la souche…)
Après bien des événements, vient ce référendum… Très bien, sauf qu’il est organisé dans le cadre de la constitution française, par le gouvernement français, et sous le contrôle du juge français !
Or, la question relève fondamentalement du droit international, et cette question a été évacuée de part et d’autre.
Dans son avis du 16 octobre 1975 sur le Sahara occidental, la Cour internationale de justice a clairement dit qu’un territoire habité ne peut être considéré comme un territoire sans maître (qu’un tiers pourrait s’approprier)
Pour le Sahara occidental, il s’agissait de nomades, pour la Nouvelle-Calédonie de tribus, mais dans les deux cas il y avait un peuple. Aussi l’appropriation française des iles sur le mode d’inégalité des races de Ferry « le rôle des races supérieures est de civiliser les races inférieures » - n’a aucune valeur en droit international.
D’ailleurs, par la résolution 41/41 A du 2 décembre 1986, l’AG ONU a inscrit l’île sur la liste des territoires non autonomes (Art. 73 de la Charte, territoires à décoloniser).
C’est donc une question de décolonisation et de droit international.
La référence est la résolution 1514 de l’AG ONU du 14 décembre 1960, dont je souligne l’article 5 :
5. Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d'une indépendance et d'une liberté complètes.
http://www.un.org/fr/decolonization/declaration.shtml
C’est comme si le peuple du Sahara occidental demandait au Maroc d’organiser le référendum d’autodétermination...
Je ne souhaite en aucun cas m’impliquer dans les débats, mais je souhaitais vous adresser ces quelques remarques.
02.11.2018
***
Ocean pacifique
COLS BLEUS Publié le 13 Février 2017 à 17:50 © Marine nationale
Le Pacifique… La moitié de la planète, un tiers de sa population, 60 % de son PIB, 50 % de son commerce. Un théâtre où se font face Américains, Chinois et Russes, un foyer de tensions (mer de Chine, Corée du Nord, terrorisme, narcotrafics…) devenu un nouveau centre de gravité stratégique (60 % de la flotte US y est stationnée, la Chine a doublé le nombre de ses bâtiments en 8 ans, 40 % des projets de sous-marins dans le monde concernent l’Asie du Sud-Est). Un espace dont la France est riveraine avec la Polynésie française, Clipperton, Wallis et Futuna et la Nouvelle Calédonie, soit 500 000 habitants(1) et 62 % de la zone économique exclusive (ZEE) nationale, tandis que 130 000 expatriés français(2) vivent en Asie-Pacifique.
Ces quelques chiffres donnent la mesure des enjeux et des responsabilités d’ALPACI qui les exerce sur trois niveaux.
En Polynésie, son action se concentre sur la protection des populations (catastrophes naturelles, sauvetage en mer…), l’affirmation de notre souveraineté (118 îles réparties sur une surface grande comme l’Europe) et la surveillance de la ZEE (5,5 millions de km2) intégrée à la zone maritime Polynésie française (22 millions de km² où s’exerce l’action de l’État en mer). En 2016(3), la Marine y a saisi 735 kg de cocaïne grâce au Prairial, permis le sauvetage de 57 personnes sur les quelque 239 secourues grâce au JRCC (Joint Rescue Coordination Center) et ses marins, survolé 275 navires de pêche aux abords de la ZEE dans le cadre d’opérations ciblées de police des pêches.
Avec les pays voisins (Cook, Kiribati, Pitcairn, Samoa, Tonga, Fidji…), en coordination avec les Forces armées en Nouvelle-Calédonie, ALPACI entretient une coopération régionale qui s’exprime notamment au travers d’accords multilatéraux avec nos partenaires américains, australiens et néo zélandais pour porter assistance aux pays insulaires du Pacifique en cas de catastrophe naturelle(4) (ex : La Moqueuse aux Fidji en mars 2016) et les aider dans la surveillance de leurs propres ZEE.
Sur le reste du Pacifique, ALPACI défend les intérêts français et les principes du droit international grâce à la présence de forces permanentes que la France est le seul pays européen à maintenir dans cette zone. En 2016, nos bâtiments ont ainsi affirmé à quatre reprises la primauté de la liberté de navigation en croisant en mer de Chine, mené deux missions de souveraineté à Clipperton et une contre les narcotrafics au large des côtes sud-américaines, touché 20 pays au cours de 27 escales, réalisé 11 exercices majeurs et 27 Passex, tandis qu’ALPACI a effectué 12 déplacements internationaux donnant lieux à 75 entretiens bilatéraux dans des forums tels que Chiefs of Defense Conference ou Western Pacific naval Symposium.
Dans le Pacifique aussi, la Marine est plus que jamais en action !
CA Denis Bertrand
Amiral commandant les forces maritimes françaises de l’océan Pacifique
Commandant supérieur des Forces armées de Polynésie française
(1) Plus que Bruneï.
(2) Autant qu’en Afrique sub-saharienne.
(3) Chiffres au 15 novembre 2016.
(4) Accords FRANZ : France, Australie, Nouvelle-Zélande.
(5) Accords QUAD : France, Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis.
***
Emmanuel Tjibaou : « Les Bretons de Nouvelle-Calédonie ne sont pas les Bretons du Finistère, ce sont des Bretons d'ici. » | JEAN-MICHEL NIESTER / OUEST-FRANCE
Propos recueillis par Thierry RICHARD. Publié le 04/11/2018 à 08h19
Emmanuel Tjibaou dirige à Nouméa le centre culturel dédié à la culture kanak. Alors que la Nouvelle-Calédonie vote dimanche 4 novembre sur son indépendance, il revient sur la politique culturelle de la France face aux kanak. La Nouvelle-Calédonie vote ce dimanche 4 novembre sur son indépendance. Au cœur de ce scrutin, la culture kanak et son avenir. À Nouméa, Emmanuel Tjibaou dirige le centre culturel qui porte le nom de son père, Jean-Marie. Ouvert en 1998, l’établissement est dédié à cette culture. Entretien.
La culture kanak a-t-elle été menacée de disparition ?
Oui, on peut même parler de processus d’extermination. Au début du XXe siècle, le maire de Nouméa prédisait qu’il n’y aurait plus de Kanak en Nouvelle-Calédonie dans les dix ou vingt ans. Je ne sais pas si c’est vrai, mais on a ce ressenti-là. Nos grands-pères ont dû attendre 1946 pour accéder au droit de vote et au confort minimal.
Comment s’est construit le réveil de la culture kanak ?
Le renouveau culturel a émergé à partir de 1975, avec le festival Mélanésia 2000 organisé par mon père à Nouméa. Il avait pour objectif d’aider les Kanak à se réapproprier leur histoire, à prendre conscience de leur identité singulière au sein de la communauté calédonienne. Le message s’adressait aussi aux autres Calédoniens. Le dialogue entre les communautés suppose que les Européens fassent le deuil du discours colonial et reconnaissent le fait qu’ils se sont construits au contact de l’autre. Les Bretons de Nouvelle-Calédonie ne sont pas les Bretons du Finistère, ce sont des Bretons d’ici. Elle est là notre richesse.
Quelle est la raison d’être du centre culturel Tjibaou ?
Les Kanak n’ont pas besoin de centre culturel. Quand je suis né, ça n’existait pas. En France, la culture est vue comme un bien de consommation. Ici, tu vis les choses. Le centre Tjibaou a été créé parce qu’il y avait besoin de passer par cette structure pour que l’autre nous prenne en considération. Avant, le seul organisme patrimonial qui s’attachait à représenter la culture kanak, c’était le musée de Nouvelle-Calédonie et ses objets traditionnels vieux de deux cents ans.
Vous n’aimez pas les musées ?
Un musée, ça fige. Je ne veux pas que ma culture soit sous une cloche de verre et qu’on parle de moi à la troisième personne. Ça voudrait dire que j’ai été annihilé, annexé, intégré. Quel intérêt si c’est pour continuer à vivre chez nous comme des étrangers ? Notre culture, notre identité, est en constante redéfinition. La réponse n’est plus dans les tribus. Il faut instaurer un nouveau dialogue avec les autres cultures, mais dans la ville, dans les quartiers. Il faut se nourrir des traditions pour créer et réinventer le patrimoine de demain. Il faut être au contact du réel, se nourrir du graff, du hip-hop.
La culture kanak est-elle aujourd’hui mieux reconnue ?
Le regard des autres a changé sur nous et nous avons changé notre regard sur nous-mêmes. On n’a plus honte de témoigner de ce qui fait notre force. Mais c’est difficile encore. On a voulu nous enfermer dans un prisme, celui des réserves et des tribus. À nous de montrer qu’on a une place dans la ville. Ce n’est pas encore gagné. Essayez de trouver à Nouméa les signes qui font de cette ville une ville océanienne et non pas un quartier de Nice ou de Montréal. C’est la question qu’on doit se poser au bout de trente ans. A-t-on vraiment dialogué ? La société s’est-elle transformée ?
Quelle est votre réponse ?
Moi, je dirais qu’il y a encore du chemin à faire. Le plus dur ce n’est pas de financer des équipements, c’est de changer les mentalités. Qu’est-ce qu’on a fait en trente ans ? Les langues océaniennes sont-elles enseignées à l’école ? Est ce qu’on apprend l’histoire des Événements ? À la télé, la culture kanak est invisible. On a essayé de faire des quotas pour favoriser l’emploi des Kanak. Mais, au lieu d’aller faire les meilleures écoles en Australie, on nous apprend surtout à être de bons Français, c’est ça le danger.
L’accord de Nouméa visait à construire un « destin commun » entre les différentes ethnies. Est-on sur la bonne voie ?
Parler de destin commun, ça voudrait dire qu’on partage une volonté de vivre ensemble. Mais tant qu’on reste exclu de la société, comment peut-on penser qu’on va cheminer ensemble ? Pour dialoguer, il faut être deux et s’entendre sur ce vers quoi on veut aller. Le destin commun, ça veut dire aussi qu’on partage une histoire, qu’on partage un rapport à l’autre. Ici, les gens ne parlent pas les langues kanak, ça ne les intéresse pas. Par contre, ils nous imposent à nous les Kanak de parler français.
La colonisation aurait-elle laissé des traces ?
La France a du mal avec son histoire. Elle n’assume pas sa colonisation, encore moins sa décolonisation. Un exemple. Ma tribu, à Tiendanite, a fait une demande d’agrandissement. Mais on nous demande de justifier. Combien de personnes, pour faire quoi, quels projets de développement ? Personne ne nous avait demandé l’autorisation quand nos terres nous ont été prises de force ! Aujourd’hui, on veut nous imposer un modèle occidental en nous enfermant dans des projets de développement. On ne pourrait pas juste vivre simplement, en ayant un peu à manger, un peu à boire, sans polluer la nature ?
Quels progrès restent à faire ?
Il y a encore des progrès à accomplir en termes d’éducation pour faire le deuil de la société coloniale. Mais la solution ne viendra pas de l’État. C’est nous, les Calédoniens, qui devons transformer le modèle en intervenant dans la vie de tous les jours. Où sont les restaurants à Nouméa qui proposent une cuisine locale ? Il faut bien chercher. Où peut-on entendre nos langues ? Y a-t-il une double signalétique ? En Bretagne, vous êtes bien placés pour savoir de quoi je parle.
Qu’attendez-vous du référendum ?
C’est une étape importante, historique. C’est l’occasion de poser des jalons, de redéfinir les contours d’un nouveau statut, en dehors de la France ou avec elle. Il est important de poser une limite et de faire le bilan de ce qui a été fait, les réussites comme les échecs, pour déterminer les chantiers à ouvrir pour la culture kanak.
Êtes-vous optimiste sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ?
Le réveil de la culture kanak a eu lieu. Cette gangue dans laquelle on a voulu nous enfermer est en train de se fissurer pour nous. Maintenant, il faut qu’en face, ils fassent le même travail. Ça ne sert à rien de nous libérer si les autres Calédoniens restent enfermés dans des schémas coloniaux. On l’a vu pendant la campagne électorale. Les uns parlaient de business et de développement, les autres de dignité.
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Une note de notre ami Gilles Devers, avocat, spécialiste de droit international
Il y a un problème juridique sérieux avec le référendum.
La Nouvelle-Calédonie était occupée par un peuple, fait de tribus, d’origine mélanésienne depuis des millénaires. Après la « découverte » anglaise, l’ile a été annexée par Napoléon III en 1853, et la France a appliqué le code de l’indigénat (violation des droits personnels et confiscation des terres).
En 1946, le code a été supprimé. La Nouvelle-Calédonie est devenue un territoire d'outre-mer et les Mélanésiens des Français (sans la souche…)
Après bien des événements, vient ce référendum… Très bien, sauf qu’il est organisé dans le cadre de la constitution française, par le gouvernement français, et sous le contrôle du juge français !
Or, la question relève fondamentalement du droit international, et cette question a été évacuée de part et d’autre.
Dans son avis du 16 octobre 1975 sur le Sahara occidental, la Cour internationale de justice a clairement dit qu’un territoire habité ne peut être considéré comme un territoire sans maître (qu’un tiers pourrait s’approprier)
Pour le Sahara occidental, il s’agissait de nomades, pour la Nouvelle-Calédonie de tribus, mais dans les deux cas il y avait un peuple. Aussi l’appropriation française des iles sur le mode d’inégalité des races de Ferry « le rôle des races supérieures est de civiliser les races inférieures » - n’a aucune valeur en droit international.
D’ailleurs, par la résolution 41/41 A du 2 décembre 1986, l’AG ONU a inscrit l’île sur la liste des territoires non autonomes (Art. 73 de la Charte, territoires à décoloniser).
C’est donc une question de décolonisation et de droit international.
La référence est la résolution 1514 de l’AG ONU du 14 décembre 1960, dont je souligne l’article 5 :
5. Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d'une indépendance et d'une liberté complètes.
http://www.un.org/fr/decolonization/declaration.shtml
C’est comme si le peuple du Sahara occidental demandait au Maroc d’organiser le référendum d’autodétermination...
Je ne souhaite en aucun cas m’impliquer dans les débats, mais je souhaitais vous adresser ces quelques remarques.
02.11.2018
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Ocean pacifique
COLS BLEUS Publié le 13 Février 2017 à 17:50 © Marine nationale
Le Pacifique… La moitié de la planète, un tiers de sa population, 60 % de son PIB, 50 % de son commerce. Un théâtre où se font face Américains, Chinois et Russes, un foyer de tensions (mer de Chine, Corée du Nord, terrorisme, narcotrafics…) devenu un nouveau centre de gravité stratégique (60 % de la flotte US y est stationnée, la Chine a doublé le nombre de ses bâtiments en 8 ans, 40 % des projets de sous-marins dans le monde concernent l’Asie du Sud-Est). Un espace dont la France est riveraine avec la Polynésie française, Clipperton, Wallis et Futuna et la Nouvelle Calédonie, soit 500 000 habitants(1) et 62 % de la zone économique exclusive (ZEE) nationale, tandis que 130 000 expatriés français(2) vivent en Asie-Pacifique.
Ces quelques chiffres donnent la mesure des enjeux et des responsabilités d’ALPACI qui les exerce sur trois niveaux.
En Polynésie, son action se concentre sur la protection des populations (catastrophes naturelles, sauvetage en mer…), l’affirmation de notre souveraineté (118 îles réparties sur une surface grande comme l’Europe) et la surveillance de la ZEE (5,5 millions de km2) intégrée à la zone maritime Polynésie française (22 millions de km² où s’exerce l’action de l’État en mer). En 2016(3), la Marine y a saisi 735 kg de cocaïne grâce au Prairial, permis le sauvetage de 57 personnes sur les quelque 239 secourues grâce au JRCC (Joint Rescue Coordination Center) et ses marins, survolé 275 navires de pêche aux abords de la ZEE dans le cadre d’opérations ciblées de police des pêches.
Avec les pays voisins (Cook, Kiribati, Pitcairn, Samoa, Tonga, Fidji…), en coordination avec les Forces armées en Nouvelle-Calédonie, ALPACI entretient une coopération régionale qui s’exprime notamment au travers d’accords multilatéraux avec nos partenaires américains, australiens et néo zélandais pour porter assistance aux pays insulaires du Pacifique en cas de catastrophe naturelle(4) (ex : La Moqueuse aux Fidji en mars 2016) et les aider dans la surveillance de leurs propres ZEE.
Sur le reste du Pacifique, ALPACI défend les intérêts français et les principes du droit international grâce à la présence de forces permanentes que la France est le seul pays européen à maintenir dans cette zone. En 2016, nos bâtiments ont ainsi affirmé à quatre reprises la primauté de la liberté de navigation en croisant en mer de Chine, mené deux missions de souveraineté à Clipperton et une contre les narcotrafics au large des côtes sud-américaines, touché 20 pays au cours de 27 escales, réalisé 11 exercices majeurs et 27 Passex, tandis qu’ALPACI a effectué 12 déplacements internationaux donnant lieux à 75 entretiens bilatéraux dans des forums tels que Chiefs of Defense Conference ou Western Pacific naval Symposium.
Dans le Pacifique aussi, la Marine est plus que jamais en action !
CA Denis Bertrand
Amiral commandant les forces maritimes françaises de l’océan Pacifique
Commandant supérieur des Forces armées de Polynésie française
(1) Plus que Bruneï.
(2) Autant qu’en Afrique sub-saharienne.
(3) Chiffres au 15 novembre 2016.
(4) Accords FRANZ : France, Australie, Nouvelle-Zélande.
(5) Accords QUAD : France, Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis.
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Emmanuel Tjibaou : « Les Bretons de Nouvelle-Calédonie ne sont pas les Bretons du Finistère, ce sont des Bretons d'ici. » | JEAN-MICHEL NIESTER / OUEST-FRANCE
Propos recueillis par Thierry RICHARD. Publié le 04/11/2018 à 08h19
Emmanuel Tjibaou dirige à Nouméa le centre culturel dédié à la culture kanak. Alors que la Nouvelle-Calédonie vote dimanche 4 novembre sur son indépendance, il revient sur la politique culturelle de la France face aux kanak. La Nouvelle-Calédonie vote ce dimanche 4 novembre sur son indépendance. Au cœur de ce scrutin, la culture kanak et son avenir. À Nouméa, Emmanuel Tjibaou dirige le centre culturel qui porte le nom de son père, Jean-Marie. Ouvert en 1998, l’établissement est dédié à cette culture. Entretien.
La culture kanak a-t-elle été menacée de disparition ?
Oui, on peut même parler de processus d’extermination. Au début du XXe siècle, le maire de Nouméa prédisait qu’il n’y aurait plus de Kanak en Nouvelle-Calédonie dans les dix ou vingt ans. Je ne sais pas si c’est vrai, mais on a ce ressenti-là. Nos grands-pères ont dû attendre 1946 pour accéder au droit de vote et au confort minimal.
Comment s’est construit le réveil de la culture kanak ?
Le renouveau culturel a émergé à partir de 1975, avec le festival Mélanésia 2000 organisé par mon père à Nouméa. Il avait pour objectif d’aider les Kanak à se réapproprier leur histoire, à prendre conscience de leur identité singulière au sein de la communauté calédonienne. Le message s’adressait aussi aux autres Calédoniens. Le dialogue entre les communautés suppose que les Européens fassent le deuil du discours colonial et reconnaissent le fait qu’ils se sont construits au contact de l’autre. Les Bretons de Nouvelle-Calédonie ne sont pas les Bretons du Finistère, ce sont des Bretons d’ici. Elle est là notre richesse.
Quelle est la raison d’être du centre culturel Tjibaou ?
Les Kanak n’ont pas besoin de centre culturel. Quand je suis né, ça n’existait pas. En France, la culture est vue comme un bien de consommation. Ici, tu vis les choses. Le centre Tjibaou a été créé parce qu’il y avait besoin de passer par cette structure pour que l’autre nous prenne en considération. Avant, le seul organisme patrimonial qui s’attachait à représenter la culture kanak, c’était le musée de Nouvelle-Calédonie et ses objets traditionnels vieux de deux cents ans.
Vous n’aimez pas les musées ?
Un musée, ça fige. Je ne veux pas que ma culture soit sous une cloche de verre et qu’on parle de moi à la troisième personne. Ça voudrait dire que j’ai été annihilé, annexé, intégré. Quel intérêt si c’est pour continuer à vivre chez nous comme des étrangers ? Notre culture, notre identité, est en constante redéfinition. La réponse n’est plus dans les tribus. Il faut instaurer un nouveau dialogue avec les autres cultures, mais dans la ville, dans les quartiers. Il faut se nourrir des traditions pour créer et réinventer le patrimoine de demain. Il faut être au contact du réel, se nourrir du graff, du hip-hop.
La culture kanak est-elle aujourd’hui mieux reconnue ?
Le regard des autres a changé sur nous et nous avons changé notre regard sur nous-mêmes. On n’a plus honte de témoigner de ce qui fait notre force. Mais c’est difficile encore. On a voulu nous enfermer dans un prisme, celui des réserves et des tribus. À nous de montrer qu’on a une place dans la ville. Ce n’est pas encore gagné. Essayez de trouver à Nouméa les signes qui font de cette ville une ville océanienne et non pas un quartier de Nice ou de Montréal. C’est la question qu’on doit se poser au bout de trente ans. A-t-on vraiment dialogué ? La société s’est-elle transformée ?
Quelle est votre réponse ?
Moi, je dirais qu’il y a encore du chemin à faire. Le plus dur ce n’est pas de financer des équipements, c’est de changer les mentalités. Qu’est-ce qu’on a fait en trente ans ? Les langues océaniennes sont-elles enseignées à l’école ? Est ce qu’on apprend l’histoire des Événements ? À la télé, la culture kanak est invisible. On a essayé de faire des quotas pour favoriser l’emploi des Kanak. Mais, au lieu d’aller faire les meilleures écoles en Australie, on nous apprend surtout à être de bons Français, c’est ça le danger.
L’accord de Nouméa visait à construire un « destin commun » entre les différentes ethnies. Est-on sur la bonne voie ?
Parler de destin commun, ça voudrait dire qu’on partage une volonté de vivre ensemble. Mais tant qu’on reste exclu de la société, comment peut-on penser qu’on va cheminer ensemble ? Pour dialoguer, il faut être deux et s’entendre sur ce vers quoi on veut aller. Le destin commun, ça veut dire aussi qu’on partage une histoire, qu’on partage un rapport à l’autre. Ici, les gens ne parlent pas les langues kanak, ça ne les intéresse pas. Par contre, ils nous imposent à nous les Kanak de parler français.
La colonisation aurait-elle laissé des traces ?
La France a du mal avec son histoire. Elle n’assume pas sa colonisation, encore moins sa décolonisation. Un exemple. Ma tribu, à Tiendanite, a fait une demande d’agrandissement. Mais on nous demande de justifier. Combien de personnes, pour faire quoi, quels projets de développement ? Personne ne nous avait demandé l’autorisation quand nos terres nous ont été prises de force ! Aujourd’hui, on veut nous imposer un modèle occidental en nous enfermant dans des projets de développement. On ne pourrait pas juste vivre simplement, en ayant un peu à manger, un peu à boire, sans polluer la nature ?
Quels progrès restent à faire ?
Il y a encore des progrès à accomplir en termes d’éducation pour faire le deuil de la société coloniale. Mais la solution ne viendra pas de l’État. C’est nous, les Calédoniens, qui devons transformer le modèle en intervenant dans la vie de tous les jours. Où sont les restaurants à Nouméa qui proposent une cuisine locale ? Il faut bien chercher. Où peut-on entendre nos langues ? Y a-t-il une double signalétique ? En Bretagne, vous êtes bien placés pour savoir de quoi je parle.
Qu’attendez-vous du référendum ?
C’est une étape importante, historique. C’est l’occasion de poser des jalons, de redéfinir les contours d’un nouveau statut, en dehors de la France ou avec elle. Il est important de poser une limite et de faire le bilan de ce qui a été fait, les réussites comme les échecs, pour déterminer les chantiers à ouvrir pour la culture kanak.
Êtes-vous optimiste sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ?
Le réveil de la culture kanak a eu lieu. Cette gangue dans laquelle on a voulu nous enfermer est en train de se fissurer pour nous. Maintenant, il faut qu’en face, ils fassent le même travail. Ça ne sert à rien de nous libérer si les autres Calédoniens restent enfermés dans des schémas coloniaux. On l’a vu pendant la campagne électorale. Les uns parlaient de business et de développement, les autres de dignité.
***
Une note de notre ami Gilles Devers, avocat, spécialiste de droit international
Il y a un problème juridique sérieux avec le référendum.
La Nouvelle-Calédonie était occupée par un peuple, fait de tribus, d’origine mélanésienne depuis des millénaires. Après la « découverte » anglaise, l’ile a été annexée par Napoléon III en 1853, et la France a appliqué le code de l’indigénat (violation des droits personnels et confiscation des terres).
En 1946, le code a été supprimé. La Nouvelle-Calédonie est devenue un territoire d'outre-mer et les Mélanésiens des Français (sans la souche…)
Après bien des événements, vient ce référendum… Très bien, sauf qu’il est organisé dans le cadre de la constitution française, par le gouvernement français, et sous le contrôle du juge français !
Or, la question relève fondamentalement du droit international, et cette question a été évacuée de part et d’autre.
Dans son avis du 16 octobre 1975 sur le Sahara occidental, la Cour internationale de justice a clairement dit qu’un territoire habité ne peut être considéré comme un territoire sans maître (qu’un tiers pourrait s’approprier)
Pour le Sahara occidental, il s’agissait de nomades, pour la Nouvelle-Calédonie de tribus, mais dans les deux cas il y avait un peuple. Aussi l’appropriation française des iles sur le mode d’inégalité des races de Ferry « le rôle des races supérieures est de civiliser les races inférieures » - n’a aucune valeur en droit international.
D’ailleurs, par la résolution 41/41 A du 2 décembre 1986, l’AG ONU a inscrit l’île sur la liste des territoires non autonomes (Art. 73 de la Charte, territoires à décoloniser).
C’est donc une question de décolonisation et de droit international.
La référence est la résolution 1514 de l’AG ONU du 14 décembre 1960, dont je souligne l’article 5 :
5. Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d'une indépendance et d'une liberté complètes.
http://www.un.org/fr/decolonization/declaration.shtml
C’est comme si le peuple du Sahara occidental demandait au Maroc d’organiser le référendum d’autodétermination...
Je ne souhaite en aucun cas m’impliquer dans les débats, mais je souhaitais vous adresser ces quelques remarques.
02.11.2018
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Ocean pacifique
COLS BLEUS Publié le 13 Février 2017 à 17:50 © Marine nationale
Le Pacifique… La moitié de la planète, un tiers de sa population, 60 % de son PIB, 50 % de son commerce. Un théâtre où se font face Américains, Chinois et Russes, un foyer de tensions (mer de Chine, Corée du Nord, terrorisme, narcotrafics…) devenu un nouveau centre de gravité stratégique (60 % de la flotte US y est stationnée, la Chine a doublé le nombre de ses bâtiments en 8 ans, 40 % des projets de sous-marins dans le monde concernent l’Asie du Sud-Est). Un espace dont la France est riveraine avec la Polynésie française, Clipperton, Wallis et Futuna et la Nouvelle Calédonie, soit 500 000 habitants(1) et 62 % de la zone économique exclusive (ZEE) nationale, tandis que 130 000 expatriés français(2) vivent en Asie-Pacifique.
Ces quelques chiffres donnent la mesure des enjeux et des responsabilités d’ALPACI qui les exerce sur trois niveaux.
En Polynésie, son action se concentre sur la protection des populations (catastrophes naturelles, sauvetage en mer…), l’affirmation de notre souveraineté (118 îles réparties sur une surface grande comme l’Europe) et la surveillance de la ZEE (5,5 millions de km2) intégrée à la zone maritime Polynésie française (22 millions de km² où s’exerce l’action de l’État en mer). En 2016(3), la Marine y a saisi 735 kg de cocaïne grâce au Prairial, permis le sauvetage de 57 personnes sur les quelque 239 secourues grâce au JRCC (Joint Rescue Coordination Center) et ses marins, survolé 275 navires de pêche aux abords de la ZEE dans le cadre d’opérations ciblées de police des pêches.
Avec les pays voisins (Cook, Kiribati, Pitcairn, Samoa, Tonga, Fidji…), en coordination avec les Forces armées en Nouvelle-Calédonie, ALPACI entretient une coopération régionale qui s’exprime notamment au travers d’accords multilatéraux avec nos partenaires américains, australiens et néo zélandais pour porter assistance aux pays insulaires du Pacifique en cas de catastrophe naturelle(4) (ex : La Moqueuse aux Fidji en mars 2016) et les aider dans la surveillance de leurs propres ZEE.
Sur le reste du Pacifique, ALPACI défend les intérêts français et les principes du droit international grâce à la présence de forces permanentes que la France est le seul pays européen à maintenir dans cette zone. En 2016, nos bâtiments ont ainsi affirmé à quatre reprises la primauté de la liberté de navigation en croisant en mer de Chine, mené deux missions de souveraineté à Clipperton et une contre les narcotrafics au large des côtes sud-américaines, touché 20 pays au cours de 27 escales, réalisé 11 exercices majeurs et 27 Passex, tandis qu’ALPACI a effectué 12 déplacements internationaux donnant lieux à 75 entretiens bilatéraux dans des forums tels que Chiefs of Defense Conference ou Western Pacific naval Symposium.
Dans le Pacifique aussi, la Marine est plus que jamais en action !
CA Denis Bertrand
Amiral commandant les forces maritimes françaises de l’océan Pacifique
Commandant supérieur des Forces armées de Polynésie française
(1) Plus que Bruneï.
(2) Autant qu’en Afrique sub-saharienne.
(3) Chiffres au 15 novembre 2016.
(4) Accords FRANZ : France, Australie, Nouvelle-Zélande.
(5) Accords QUAD : France, Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis.
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Emmanuel Tjibaou : « Les Bretons de Nouvelle-Calédonie ne sont pas les Bretons du Finistère, ce sont des Bretons d'ici. » | JEAN-MICHEL NIESTER / OUEST-FRANCE
Propos recueillis par Thierry RICHARD. Publié le 04/11/2018 à 08h19
Emmanuel Tjibaou dirige à Nouméa le centre culturel dédié à la culture kanak. Alors que la Nouvelle-Calédonie vote dimanche 4 novembre sur son indépendance, il revient sur la politique culturelle de la France face aux kanak. La Nouvelle-Calédonie vote ce dimanche 4 novembre sur son indépendance. Au cœur de ce scrutin, la culture kanak et son avenir. À Nouméa, Emmanuel Tjibaou dirige le centre culturel qui porte le nom de son père, Jean-Marie. Ouvert en 1998, l’établissement est dédié à cette culture. Entretien.
La culture kanak a-t-elle été menacée de disparition ?
Oui, on peut même parler de processus d’extermination. Au début du XXe siècle, le maire de Nouméa prédisait qu’il n’y aurait plus de Kanak en Nouvelle-Calédonie dans les dix ou vingt ans. Je ne sais pas si c’est vrai, mais on a ce ressenti-là. Nos grands-pères ont dû attendre 1946 pour accéder au droit de vote et au confort minimal.
Comment s’est construit le réveil de la culture kanak ?
Le renouveau culturel a émergé à partir de 1975, avec le festival Mélanésia 2000 organisé par mon père à Nouméa. Il avait pour objectif d’aider les Kanak à se réapproprier leur histoire, à prendre conscience de leur identité singulière au sein de la communauté calédonienne. Le message s’adressait aussi aux autres Calédoniens. Le dialogue entre les communautés suppose que les Européens fassent le deuil du discours colonial et reconnaissent le fait qu’ils se sont construits au contact de l’autre. Les Bretons de Nouvelle-Calédonie ne sont pas les Bretons du Finistère, ce sont des Bretons d’ici. Elle est là notre richesse.
Quelle est la raison d’être du centre culturel Tjibaou ?
Les Kanak n’ont pas besoin de centre culturel. Quand je suis né, ça n’existait pas. En France, la culture est vue comme un bien de consommation. Ici, tu vis les choses. Le centre Tjibaou a été créé parce qu’il y avait besoin de passer par cette structure pour que l’autre nous prenne en considération. Avant, le seul organisme patrimonial qui s’attachait à représenter la culture kanak, c’était le musée de Nouvelle-Calédonie et ses objets traditionnels vieux de deux cents ans.
Vous n’aimez pas les musées ?
Un musée, ça fige. Je ne veux pas que ma culture soit sous une cloche de verre et qu’on parle de moi à la troisième personne. Ça voudrait dire que j’ai été annihilé, annexé, intégré. Quel intérêt si c’est pour continuer à vivre chez nous comme des étrangers ? Notre culture, notre identité, est en constante redéfinition. La réponse n’est plus dans les tribus. Il faut instaurer un nouveau dialogue avec les autres cultures, mais dans la ville, dans les quartiers. Il faut se nourrir des traditions pour créer et réinventer le patrimoine de demain. Il faut être au contact du réel, se nourrir du graff, du hip-hop.
La culture kanak est-elle aujourd’hui mieux reconnue ?
Le regard des autres a changé sur nous et nous avons changé notre regard sur nous-mêmes. On n’a plus honte de témoigner de ce qui fait notre force. Mais c’est difficile encore. On a voulu nous enfermer dans un prisme, celui des réserves et des tribus. À nous de montrer qu’on a une place dans la ville. Ce n’est pas encore gagné. Essayez de trouver à Nouméa les signes qui font de cette ville une ville océanienne et non pas un quartier de Nice ou de Montréal. C’est la question qu’on doit se poser au bout de trente ans. A-t-on vraiment dialogué ? La société s’est-elle transformée ?
Quelle est votre réponse ?
Moi, je dirais qu’il y a encore du chemin à faire. Le plus dur ce n’est pas de financer des équipements, c’est de changer les mentalités. Qu’est-ce qu’on a fait en trente ans ? Les langues océaniennes sont-elles enseignées à l’école ? Est ce qu’on apprend l’histoire des Événements ? À la télé, la culture kanak est invisible. On a essayé de faire des quotas pour favoriser l’emploi des Kanak. Mais, au lieu d’aller faire les meilleures écoles en Australie, on nous apprend surtout à être de bons Français, c’est ça le danger.
L’accord de Nouméa visait à construire un « destin commun » entre les différentes ethnies. Est-on sur la bonne voie ?
Parler de destin commun, ça voudrait dire qu’on partage une volonté de vivre ensemble. Mais tant qu’on reste exclu de la société, comment peut-on penser qu’on va cheminer ensemble ? Pour dialoguer, il faut être deux et s’entendre sur ce vers quoi on veut aller. Le destin commun, ça veut dire aussi qu’on partage une histoire, qu’on partage un rapport à l’autre. Ici, les gens ne parlent pas les langues kanak, ça ne les intéresse pas. Par contre, ils nous imposent à nous les Kanak de parler français.
La colonisation aurait-elle laissé des traces ?
La France a du mal avec son histoire. Elle n’assume pas sa colonisation, encore moins sa décolonisation. Un exemple. Ma tribu, à Tiendanite, a fait une demande d’agrandissement. Mais on nous demande de justifier. Combien de personnes, pour faire quoi, quels projets de développement ? Personne ne nous avait demandé l’autorisation quand nos terres nous ont été prises de force ! Aujourd’hui, on veut nous imposer un modèle occidental en nous enfermant dans des projets de développement. On ne pourrait pas juste vivre simplement, en ayant un peu à manger, un peu à boire, sans polluer la nature ?
Quels progrès restent à faire ?
Il y a encore des progrès à accomplir en termes d’éducation pour faire le deuil de la société coloniale. Mais la solution ne viendra pas de l’État. C’est nous, les Calédoniens, qui devons transformer le modèle en intervenant dans la vie de tous les jours. Où sont les restaurants à Nouméa qui proposent une cuisine locale ? Il faut bien chercher. Où peut-on entendre nos langues ? Y a-t-il une double signalétique ? En Bretagne, vous êtes bien placés pour savoir de quoi je parle.
Qu’attendez-vous du référendum ?
C’est une étape importante, historique. C’est l’occasion de poser des jalons, de redéfinir les contours d’un nouveau statut, en dehors de la France ou avec elle. Il est important de poser une limite et de faire le bilan de ce qui a été fait, les réussites comme les échecs, pour déterminer les chantiers à ouvrir pour la culture kanak.
Êtes-vous optimiste sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ?
Le réveil de la culture kanak a eu lieu. Cette gangue dans laquelle on a voulu nous enfermer est en train de se fissurer pour nous. Maintenant, il faut qu’en face, ils fassent le même travail. Ça ne sert à rien de nous libérer si les autres Calédoniens restent enfermés dans des schémas coloniaux. On l’a vu pendant la campagne électorale. Les uns parlaient de business et de développement, les autres de dignité.
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Une note de notre ami Gilles Devers, avocat, spécialiste de droit international
Il y a un problème juridique sérieux avec le référendum.
La Nouvelle-Calédonie était occupée par un peuple, fait de tribus, d’origine mélanésienne depuis des millénaires. Après la « découverte » anglaise, l’ile a été annexée par Napoléon III en 1853, et la France a appliqué le code de l’indigénat (violation des droits personnels et confiscation des terres).
En 1946, le code a été supprimé. La Nouvelle-Calédonie est devenue un territoire d'outre-mer et les Mélanésiens des Français (sans la souche…)
Après bien des événements, vient ce référendum… Très bien, sauf qu’il est organisé dans le cadre de la constitution française, par le gouvernement français, et sous le contrôle du juge français !
Or, la question relève fondamentalement du droit international, et cette question a été évacuée de part et d’autre.
Dans son avis du 16 octobre 1975 sur le Sahara occidental, la Cour internationale de justice a clairement dit qu’un territoire habité ne peut être considéré comme un territoire sans maître (qu’un tiers pourrait s’approprier)
Pour le Sahara occidental, il s’agissait de nomades, pour la Nouvelle-Calédonie de tribus, mais dans les deux cas il y avait un peuple. Aussi l’appropriation française des iles sur le mode d’inégalité des races de Ferry « le rôle des races supérieures est de civiliser les races inférieures » - n’a aucune valeur en droit international.
D’ailleurs, par la résolution 41/41 A du 2 décembre 1986, l’AG ONU a inscrit l’île sur la liste des territoires non autonomes (Art. 73 de la Charte, territoires à décoloniser).
C’est donc une question de décolonisation et de droit international.
La référence est la résolution 1514 de l’AG ONU du 14 décembre 1960, dont je souligne l’article 5 :
5. Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d'une indépendance et d'une liberté complètes.
http://www.un.org/fr/decolonization/declaration.shtml
C’est comme si le peuple du Sahara occidental demandait au Maroc d’organiser le référendum d’autodétermination...
Je ne souhaite en aucun cas m’impliquer dans les débats, mais je souhaitais vous adresser ces quelques remarques.
02.11.2018
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Ocean pacifique
COLS BLEUS Publié le 13 Février 2017 à 17:50 © Marine nationale
Le Pacifique… La moitié de la planète, un tiers de sa population, 60 % de son PIB, 50 % de son commerce. Un théâtre où se font face Américains, Chinois et Russes, un foyer de tensions (mer de Chine, Corée du Nord, terrorisme, narcotrafics…) devenu un nouveau centre de gravité stratégique (60 % de la flotte US y est stationnée, la Chine a doublé le nombre de ses bâtiments en 8 ans, 40 % des projets de sous-marins dans le monde concernent l’Asie du Sud-Est). Un espace dont la France est riveraine avec la Polynésie française, Clipperton, Wallis et Futuna et la Nouvelle Calédonie, soit 500 000 habitants(1) et 62 % de la zone économique exclusive (ZEE) nationale, tandis que 130 000 expatriés français(2) vivent en Asie-Pacifique.
Ces quelques chiffres donnent la mesure des enjeux et des responsabilités d’ALPACI qui les exerce sur trois niveaux.
En Polynésie, son action se concentre sur la protection des populations (catastrophes naturelles, sauvetage en mer…), l’affirmation de notre souveraineté (118 îles réparties sur une surface grande comme l’Europe) et la surveillance de la ZEE (5,5 millions de km2) intégrée à la zone maritime Polynésie française (22 millions de km² où s’exerce l’action de l’État en mer). En 2016(3), la Marine y a saisi 735 kg de cocaïne grâce au Prairial, permis le sauvetage de 57 personnes sur les quelque 239 secourues grâce au JRCC (Joint Rescue Coordination Center) et ses marins, survolé 275 navires de pêche aux abords de la ZEE dans le cadre d’opérations ciblées de police des pêches.
Avec les pays voisins (Cook, Kiribati, Pitcairn, Samoa, Tonga, Fidji…), en coordination avec les Forces armées en Nouvelle-Calédonie, ALPACI entretient une coopération régionale qui s’exprime notamment au travers d’accords multilatéraux avec nos partenaires américains, australiens et néo zélandais pour porter assistance aux pays insulaires du Pacifique en cas de catastrophe naturelle(4) (ex : La Moqueuse aux Fidji en mars 2016) et les aider dans la surveillance de leurs propres ZEE.
Sur le reste du Pacifique, ALPACI défend les intérêts français et les principes du droit international grâce à la présence de forces permanentes que la France est le seul pays européen à maintenir dans cette zone. En 2016, nos bâtiments ont ainsi affirmé à quatre reprises la primauté de la liberté de navigation en croisant en mer de Chine, mené deux missions de souveraineté à Clipperton et une contre les narcotrafics au large des côtes sud-américaines, touché 20 pays au cours de 27 escales, réalisé 11 exercices majeurs et 27 Passex, tandis qu’ALPACI a effectué 12 déplacements internationaux donnant lieux à 75 entretiens bilatéraux dans des forums tels que Chiefs of Defense Conference ou Western Pacific naval Symposium.
Dans le Pacifique aussi, la Marine est plus que jamais en action !
CA Denis Bertrand
Amiral commandant les forces maritimes françaises de l’océan Pacifique
Commandant supérieur des Forces armées de Polynésie française
(1) Plus que Bruneï.
(2) Autant qu’en Afrique sub-saharienne.
(3) Chiffres au 15 novembre 2016.
(4) Accords FRANZ : France, Australie, Nouvelle-Zélande.
(5) Accords QUAD : France, Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis.
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Emmanuel Tjibaou : « Les Bretons de Nouvelle-Calédonie ne sont pas les Bretons du Finistère, ce sont des Bretons d'ici. » | JEAN-MICHEL NIESTER / OUEST-FRANCE
Propos recueillis par Thierry RICHARD. Publié le 04/11/2018 à 08h19
Emmanuel Tjibaou dirige à Nouméa le centre culturel dédié à la culture kanak. Alors que la Nouvelle-Calédonie vote dimanche 4 novembre sur son indépendance, il revient sur la politique culturelle de la France face aux kanak. La Nouvelle-Calédonie vote ce dimanche 4 novembre sur son indépendance. Au cœur de ce scrutin, la culture kanak et son avenir. À Nouméa, Emmanuel Tjibaou dirige le centre culturel qui porte le nom de son père, Jean-Marie. Ouvert en 1998, l’établissement est dédié à cette culture. Entretien.
La culture kanak a-t-elle été menacée de disparition ?
Oui, on peut même parler de processus d’extermination. Au début du XXe siècle, le maire de Nouméa prédisait qu’il n’y aurait plus de Kanak en Nouvelle-Calédonie dans les dix ou vingt ans. Je ne sais pas si c’est vrai, mais on a ce ressenti-là. Nos grands-pères ont dû attendre 1946 pour accéder au droit de vote et au confort minimal.
Comment s’est construit le réveil de la culture kanak ?
Le renouveau culturel a émergé à partir de 1975, avec le festival Mélanésia 2000 organisé par mon père à Nouméa. Il avait pour objectif d’aider les Kanak à se réapproprier leur histoire, à prendre conscience de leur identité singulière au sein de la communauté calédonienne. Le message s’adressait aussi aux autres Calédoniens. Le dialogue entre les communautés suppose que les Européens fassent le deuil du discours colonial et reconnaissent le fait qu’ils se sont construits au contact de l’autre. Les Bretons de Nouvelle-Calédonie ne sont pas les Bretons du Finistère, ce sont des Bretons d’ici. Elle est là notre richesse.
Quelle est la raison d’être du centre culturel Tjibaou ?
Les Kanak n’ont pas besoin de centre culturel. Quand je suis né, ça n’existait pas. En France, la culture est vue comme un bien de consommation. Ici, tu vis les choses. Le centre Tjibaou a été créé parce qu’il y avait besoin de passer par cette structure pour que l’autre nous prenne en considération. Avant, le seul organisme patrimonial qui s’attachait à représenter la culture kanak, c’était le musée de Nouvelle-Calédonie et ses objets traditionnels vieux de deux cents ans.
Vous n’aimez pas les musées ?
Un musée, ça fige. Je ne veux pas que ma culture soit sous une cloche de verre et qu’on parle de moi à la troisième personne. Ça voudrait dire que j’ai été annihilé, annexé, intégré. Quel intérêt si c’est pour continuer à vivre chez nous comme des étrangers ? Notre culture, notre identité, est en constante redéfinition. La réponse n’est plus dans les tribus. Il faut instaurer un nouveau dialogue avec les autres cultures, mais dans la ville, dans les quartiers. Il faut se nourrir des traditions pour créer et réinventer le patrimoine de demain. Il faut être au contact du réel, se nourrir du graff, du hip-hop.
La culture kanak est-elle aujourd’hui mieux reconnue ?
Le regard des autres a changé sur nous et nous avons changé notre regard sur nous-mêmes. On n’a plus honte de témoigner de ce qui fait notre force. Mais c’est difficile encore. On a voulu nous enfermer dans un prisme, celui des réserves et des tribus. À nous de montrer qu’on a une place dans la ville. Ce n’est pas encore gagné. Essayez de trouver à Nouméa les signes qui font de cette ville une ville océanienne et non pas un quartier de Nice ou de Montréal. C’est la question qu’on doit se poser au bout de trente ans. A-t-on vraiment dialogué ? La société s’est-elle transformée ?
Quelle est votre réponse ?
Moi, je dirais qu’il y a encore du chemin à faire. Le plus dur ce n’est pas de financer des équipements, c’est de changer les mentalités. Qu’est-ce qu’on a fait en trente ans ? Les langues océaniennes sont-elles enseignées à l’école ? Est ce qu’on apprend l’histoire des Événements ? À la télé, la culture kanak est invisible. On a essayé de faire des quotas pour favoriser l’emploi des Kanak. Mais, au lieu d’aller faire les meilleures écoles en Australie, on nous apprend surtout à être de bons Français, c’est ça le danger.
L’accord de Nouméa visait à construire un « destin commun » entre les différentes ethnies. Est-on sur la bonne voie ?
Parler de destin commun, ça voudrait dire qu’on partage une volonté de vivre ensemble. Mais tant qu’on reste exclu de la société, comment peut-on penser qu’on va cheminer ensemble ? Pour dialoguer, il faut être deux et s’entendre sur ce vers quoi on veut aller. Le destin commun, ça veut dire aussi qu’on partage une histoire, qu’on partage un rapport à l’autre. Ici, les gens ne parlent pas les langues kanak, ça ne les intéresse pas. Par contre, ils nous imposent à nous les Kanak de parler français.
La colonisation aurait-elle laissé des traces ?
La France a du mal avec son histoire. Elle n’assume pas sa colonisation, encore moins sa décolonisation. Un exemple. Ma tribu, à Tiendanite, a fait une demande d’agrandissement. Mais on nous demande de justifier. Combien de personnes, pour faire quoi, quels projets de développement ? Personne ne nous avait demandé l’autorisation quand nos terres nous ont été prises de force ! Aujourd’hui, on veut nous imposer un modèle occidental en nous enfermant dans des projets de développement. On ne pourrait pas juste vivre simplement, en ayant un peu à manger, un peu à boire, sans polluer la nature ?
Quels progrès restent à faire ?
Il y a encore des progrès à accomplir en termes d’éducation pour faire le deuil de la société coloniale. Mais la solution ne viendra pas de l’État. C’est nous, les Calédoniens, qui devons transformer le modèle en intervenant dans la vie de tous les jours. Où sont les restaurants à Nouméa qui proposent une cuisine locale ? Il faut bien chercher. Où peut-on entendre nos langues ? Y a-t-il une double signalétique ? En Bretagne, vous êtes bien placés pour savoir de quoi je parle.
Qu’attendez-vous du référendum ?
C’est une étape importante, historique. C’est l’occasion de poser des jalons, de redéfinir les contours d’un nouveau statut, en dehors de la France ou avec elle. Il est important de poser une limite et de faire le bilan de ce qui a été fait, les réussites comme les échecs, pour déterminer les chantiers à ouvrir pour la culture kanak.
Êtes-vous optimiste sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ?
Le réveil de la culture kanak a eu lieu. Cette gangue dans laquelle on a voulu nous enfermer est en train de se fissurer pour nous. Maintenant, il faut qu’en face, ils fassent le même travail. Ça ne sert à rien de nous libérer si les autres Calédoniens restent enfermés dans des schémas coloniaux. On l’a vu pendant la campagne électorale. Les uns parlaient de business et de développement, les autres de dignité.
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